Ce qui se passe en Guinée nous concerne et inversement. L’ancien Président de la République du Mali, ATT (Amadou Toumani Touré) avait une formule imagée pour dire plus que l’unité, l’état de fusion entre son pays et le Sénégal. Il disait je le cite : « le Sénégal, c’est le Mali occidental et le Mali c’est le Sénégal oriental ».
L’on pourrait le paraphraser en disant que la Guinée est le Sénégal méridional et le Sénégal la Guinée septentrionale. En tout cas, le système colonial, en ce qui le concerne, l’avait bien compris qui avait institué une fédération de territoires coloniaux appelée AOF (Afrique occidentale française) avec un gouvernement qui, de 1895 à 1958, regroupait les territoires français du Sénégal, de la Guinée, de la Côte-d’Ivoire, du Dahomey (Bénin aujourd’hui), du Soudan (Mali aujourd’hui), de la Haute-Volta (Burkina Faso aujourd’hui), du Niger et de la Mauritanie.
Ainsi donc, le gouverneur général de l’AOF, basé à Dakar dirigeait tous les huit Etats actuels. Les partis politiques de l’époque regroupaient sans distinction les ressortissants de tous ces pays avec des sections dans chaque territoire. Le RDA (Rassemblement démocratique Africain) avait ses sections comme le PDCI/RDA en Côté d’Ivoire, le PDG/RDA en Guinée ou encore l’UDS/RDA au Sénégal, etc.
Les jeunes générations doivent savoir cela pour mieux comprendre les incohérences et l’ineptie des approches nationalistes étroites de certaines élites politiques d’aujourd’hui. Que s’est-il passé entre temps ? Il s’est passé qu’avant d’octroyer les indépendances de 1960, la France coloniale eut la ‘merveilleuse’ idée de casser cette fédération de l’AOF en huit (8) républiques et de placer à leur tête ses hommes de main (sauf la Guinée) aux fins de poursuivre les mêmes objectifs qui avaient nécessité, à ses yeux, l’entreprise coloniale.
Aujourd’hui, nos pays qui ont été gouvernés pendant 63 ans par une seule autorité coloniale ne parviennent toujours pas, depuis 59 ans, à se fédérer de nouveau pour pouvoir compter dans la balance générale des affaires du monde. Cet espace de 4 millions 500 mille km² fait plus que l’Inde et la France réunis et recèle, sur son sol et dans son sous-sol, des richesses faramineuses que ni l’Inde ni la France ne détiennent. Et ne compte que 120 millions d’habitants contre 1 milliard 300 millions pour l’Inde. D’où vient-il alors que nous soyons encore globalement appelés PPTE (pays pauvres très endettés) avec, quelque part, une nette dose de mépris et de condescendance ? Eh bien parce que, pour dire les choses telles qu’elles sont, nous sommes artificiellement divisés et inadéquatement dirigés.
Nos constitutions sont toutes, excepté la Guinée, d’inspiration gaullienne. Elles n’ont pas prise sur nos réalités profondes et nos équilibres sociaux et ont produit suffisamment de dégâts au Togo, en Côte d’Ivoire, au Burkina et ailleurs pour devoir être changées de fond en comble. La Guinée s’était affranchie de la tutelle de la France à l’occasion précisément du référendum constitutionnel du Général de Gaulle en 1958 mais a connu par la suite, elle aussi, des soubresauts et des constitutions qui laissaient à désirer, jusqu’à la présente constitution élaborée par le Conseil national de transition (CNT).
Nos pays ont donc besoin de nouvelles constitutions. Et lorsqu’on a vécu 63 années sous une même administration coloniale, on doit pouvoir, devenu libre, vivre sous une même constitution. Le panafricaniste fédéraliste que je suis, qui milite pour les Etats-Unis d’Afrique (ou Les Etas Africains Unis -EAU), pense qu’à défaut d’une constituante fédérale continentale ou ouest-africaine, nous devrions pouvoir doter cet espace ouest-africain d’une constitution commune.
Mais d’ici là, on doit pouvoir admettre que de nouvelles constitutions plus proches de nos réalités soient adoptées par nos peuples respectifs. C’est pourquoi j’ai estimé, en 2016, que nous n’avions pas besoin ici au Sénégal de réforme de la constitution mais d’une véritable révolution républicaine.