Après une sollicitation de la Communauté Mouride « Carrefour du Magal à Masalikoul Jijane», le 09 décembre 2013 sur le thème : « Le Système d’Education Sénégalais, problématiques et enjeux » suivie de celle de la Communauté chrétienne, le 24 avril 2014 sur le thème : « La drogue en milieu scolaire », ensuite de celle de la Communauté Omarienne lors de la 38ème édition de la ziarra le 25 janvier 2018 sur le thème « Violence, Education et Paix en Islam », la COSYDEP été choisie par la Communauté Tijannya,
pour prononcer la leçon inaugurale le 6 novembre à Tivaouane sur le thème «
Problématique de l’éducation et de la mendicité des enfants au Sénégal ». Voici in extenso la leçon inaugurale prononcée par Cheikh Mbow.
Depuis plusieurs décennies, le système éducatif sénégalais est confronté à une crise multiforme et multidimensionnelle (crises des finalités, des contenus, des performances, des ressources, …). C’est sans doute pour rétablir la fonction de l’éducation et définir la position
de la Cellule Zawiya Tijanya que les organisateurs des journées scientifiques, en prélude au Gamou 2019, ont choisi d’aborder le thème général portant sur « Problématique de l’éducation et de la mendicité au Sénégal ».Notre contribution qui porte sur la problématique de l’éducation, interroge les orientations, les stratégies et les pratiques du système, en lien avec la légitimité de l’école dans une société
en crise de valeurs. Sous cet angle, plusieurs questions sont soulevées en rapport avec la refondation de l’éducation et de la formation au Sénégal : Quelle lecture du contexte actuel
dans le secteur ? Quels nouveaux paradigmes face à notre projet de société et aux limites du
modèle d’éducation étatique ? Comment faire pour gérer les contradictions entre notre système éducatif et la société ? Comment reconnecter l’éducation au sens de la vie ? Comment concrétiser le droit à l’éducation pour tous ? Quelles pistes de rupture pertinentes ?
INTRODUCTION
Les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) ont constitué depuis 2000 la feuille de route du développement sur l’échéance 2015. L’EPT (Education Pour Tous) était
une tâche inachevée en 2000 à Dakar ; elle l’était encore en 2015 à Inchéon malgré les progrès accomplis. La réalité est que l’éducation pour tous n’est pas atteinte ; le Sénégal n’a
pas fait exception.
Les distances culturelles, sociales, économiques et géographiques qui séparent les
populations exclues des modèles éducatifs dominants persistent. Un nouveau Rendez-vous
mondial est pris pour 2030 ou 2063 pour l’Afrique ; une nouvelle orientation est donnée au
secteur de l’éducation au Sénégal, pour un nouveau contrat social qui positionne l’éducation
comme condition essentielle pour préparer le jeune à une vie responsable et à la citoyenneté
mondiale et cela dans un esprit de compréhension, de tolérance et de respect mutuel.
L’analyse de la situation de l’EPT au Sénégal laisse apparaitre que des efforts louables sont
certes faits pour avoir une école de qualité mais notre pays doit encore réaliser de nouvelles
ruptures pour renforcer les acquis. Pourtant les opportunités n’ont pas manqué au
Sénégal avec la tenue des Etats Généraux de l’Education et de la Formation (EGEF) en
1981, la Concertation Nationale sur l’Avenir de l’Enseignement Supérieur (CNAES) en 2013
et les Assises Nationales de l’Education et la Formation (ANEF) en 2014. En outre, on
constate le développement d’une citoyenneté active, avec une plus grande présence des
communautés sur les questions de gouvernances, de reddition de compte et d’équité.
I. L’ECOLE SENEGALAISE FACE AUX VALEURS
L’ambition déclarée de l’Etat du Sénégal est de bâtir un système éducatif répondant aux
aspirations profondes des segments qui composent la société. Cette intention n’est pas
étrangère au postulat qui fait de l’éducation un droit inaliénable et un puissant instrument de
promotion sociale, économique et culturelle. Cependant, cette forte ambition tarde à se
réaliser du fait des nombreux problèmes hérités de la colonisation et de la conception
unidimensionnelle de l’éducation chez la plupart des intellectuels sortis du moule de l’école
occidentale.
En fait, la fonction d’éducation dans une société ne saurait être assumée exclusivement par
une seule et unique institution, fut elle un héritage de la colonisation. L’erreur, pour nous,
réside dans les choix stratégiques qui ont consisté dès les indépendances à reléguer au
second plan les structures d’éducation traditionnelles qui pourtant, ont fait leurs preuves en
termes d’efficacité et de qualité en cohérence avec les réalités socio culturelles et
économiques du pays.
C’est justement le cas des daara dits traditionnels, apparus au Sénégal depuis l’introduction
de l’Islam et ayant constitué des lieux d’éducation et de formation par excellence, bien avant
l’école française. Ces daara ont formé des millions personnes en les dotant « d’une
conscience islamique ferme et résolue, d’une vision du monde, de la société, de l’être
humain, de la parenté, des relations interpersonnelles, du commerce humain, des activités
économiques et de la sociabilité fondés sur des valeurs fortes et un humanisme élevé ».
L’on se demandera longtemps encore pourquoi, nous avons laissé de côté ces structures
lorsqu’il nous a fallu mettre en place un système éducatif ? Il faut d’ailleurs, dire que ce choix
peu judicieux est à l’origine de la coexistence de plusieurs systèmes éducatifs d’où sortent des
citoyens aux projets socio-culturels et économiques entièrement divergents pour ne pas dire
complètement antagonistes.
Sans nier les efforts consentis dans cette perspective, des difficultés et des insuffisances à
tous les niveaux ont rendu, pendant longtemps, le fonctionnement du système peu efficace.
Les multiples réformes opérées jusque-là, n’ont en réalité, porté que sur des programmes et
des pratiques. Elles n’ont pas encore touché de façon profonde le type de sénégalais à bâtir à
partir d’un projet de société fondé sur des valeurs et des références renforçant la morale, la
citoyenneté responsable, les valeurs traditionnelles et les cultures africaines face aux formes
variées de déviances de plus en plus notées et aux rapports heurtés entre acteurs.
II.LE CONTEXTE DU SECTEUR
De façon spécifique, le secteur est marqué par :
1. Des disparités sans précédent dans l’accès à l’éducation, ainsi que des résultats
d’apprentissage médiocres alors que la demande d’éducation croit et que les formes
d’éducation offertes se diversifient : écoles dites françaises ou dites franco-arabe avec des
offres publiques, privées et communautaires ; écoles confessionnelles islamiques ou
catholiques de différents types ; écoles à programmes étrangers (français, américains, turcs, etc.)
2. Des insuffisances dans le pilotage et la gestion des compétences transférées, notamment en
éducation, dans un contexte de mise en œuvre de la déconcentration et de la
décentralisation.
3. La dévalorisation de l’offre publique d’éducation avec des mouvements d’humeur des
enseignants ou des apprenants, un déficit de dialogue franc, des dissensus autour de la
vision…