Le jugement par contumace de Cheikh Béthio Thioune démontre qu’il est plus facile de dire, urbi et orbi, que « les marabouts sont des citoyens ordinaires », que de leur appliquer implacablement (sans restrictions ni variations) les rigueurs de la loi. L’heure de vérité sonne, ce lundi 6 mai, devant le Tribunal de Grande Instance de Mbour. Sans connaitre l’épilogue et/ou le verdict du procès, je persiste et signe : les marabouts sont des citoyens extraordinaires au sein de la société sénégalaise et, par voie de conséquence, sans communs traitements avec leurs compatriotes devant la Justice. La preuve est aveuglante. Celui qui est actuellement jugé, dans la ville de Mbour, est un citoyen si peu ordinaire qu’il est simultanément placé sous contrôle judiciaire et positionné dans un couloir aérien qui lui a permis de survoler la Méditerranée dans les deux sens : Nord-Sud. Auparavant – nonobstant un dossier médical apparemment au-dessus de tout soupçon – Cheikh Béthio avait présidé des cérémonies aussi religieuses que remuantes. Voire dansantes.
La remarque n’est pas circonstancielle. Il s’agit d’un constat qui plonge ses racines aussi bien dans l’Histoire de la colonie française du Sénégal que dans le passé récent du Sénégal indépendant. Entre 1936 et 1941, la confrontation entre l’illustre Chérif de la Zawiya de Nioro du Sahel, Cheikh Hamallah, et l’Administration coloniale a été ponctuée de procès et d’exils à répétitions. Dans ce tumulte politico-judiciaire, la personnalité, l’envergure et l’influence de Thierno Seydou Nourou Tall (marabout aux origines sénégalo-maliennes) ont servi de soupapes limitatives des dégâts. Certes, beaucoup de disciples hamallistes sont enterrés collectivement dans un cimetière du cercle de Mahina, non loin du barrage de Manantali, au Mali, mais Ahmedou Hamahoullah dit Cheikh Hamallah a été épargné par le glaive. Un traitement spécial de super-chef religieux lui a été réservé. Il est mort en résidence surveillée (1943) dans le sud de la France. Même à l’apogée de la colonisation brutale et peu respectueuse de la vie des colonisés dépourvus de droits, un marabout n’était pas un colonisé ordinaire comme les autres. Aujourd’hui, c’est le fils cadet de Cheikh Hamallah, le Chérif Bouyé, qui défie le Président IBK, sans aller en taule.
Ici, au Sénégal, Cheikh Tidiane Sy Al Maktoub a créé le Parti de la Solidarité du Sénégal (PSS) et défendu de façon musclée sa liste aux élections législatives du 22 mars 1959. Ses adversaires du BDS, en l’occurrence les Présidents Senghor et Dia, ont été courageusement et vigoureusement attaqués durant la campagne. Le paroxysme de l’effervescence électorale a débouché sur la mort d’une personne. Dans cette ambiance électrique, le téméraire fils de Sérigne Ababacar Sy qualifia le Président Senghor de (……). Il est inconvenant de mentionner le mot excessivement désobligeant. Cheikh Tidiane Sy a été aussitôt interpellé puis privé de liberté à Rebeuss. Coup de théâtre : l’arrangement entre dignitaires de Tivaouane et plénipotentiaires du gouvernement d’alors, a pris le dessus sur le procès. Bien des années après, Cheikh Tidiane Sy administrera encore la preuve que les marabouts sont des citoyens extraordinaires. En effet, son Excellence Cheikh Tidiane Sy, nommé ambassadeur du Sénégal auprès de la RAU (République Arabe Unie, une entité mort-née fusionnant l’Egypte et la Syrie), est rappelé à Dakar et démis de ses fonctions, pour fautes de gestion. Sa réaction discourtoise au cours d’un entretien avec le Ministre de des Affaires Etrangères de l’époque, Doudou Thiam, est assimilable à un chef d’œuvre d’irrespect hiérarchique. L’épisode mémorable est classé sans plainte ni emprisonnement.
Du reste, les chefs religieux n’ont pas le monopole des privilèges et des blindages face à la Justice. Après le 15 mai 1993, si Abdou Diouf avait poussé l’appareil judiciaire jusqu’au bout du parcours procédural, le cours de l’Histoire démocratique du Sénégal (alternance de mars 2000) aurait changé de cap. Tellement cette trouble « Affaire Maitre Sèye » permettait à tout pêcheur en eaux troubles, d’atteindre machiavéliquement n’importe quel objectif politiquement destructeur. En grand homme d’Etat – je ne dis pas brillant ou excellent homme politique – le Président Abdou Diouf, habité par le culte de la stabilité nationale et soucieux de la paix civile, avait fait sagement demi-tour. Rappelons qu’avant 2000, la peine de mort n’était pas abolie. Du coup, la Cour d’Assises était le plus court chemin vers la potence.
Moralité : dans un pays aux institutions insuffisamment robustes, les hommes politiques sont également des citoyens hors du commun. Le destin de l’Abbé Diamacoune Senghor en est une parfaite illustration. Le Patriarche du MFDC est mort dans son lit d’hopital, en Europe, malgré son discours violent et son rôle central dans les évènements qui ont endeuillé des familles de militaires et de civils dans le Sud du Sénégal. L’Abbé Diamacoune avait trois patries : le Sénégal, la Casamance et le Vatican. Cette dernière patrie (le Vatican) a fonctionné comme un excellent gilet pare-balles et pare-mort, pour le curé rebelle. Question : les marabouts et assimilés de toutes confessions, sont-ils vraiment des citoyens ordinaires ?
Comme on le voit, le procès de Cheikh Béthio Thioune est aussi un gro…