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DR ROKHAYA CISSE, COORDINATRICE DU BAROMÈTRE JÀNGANDOO «LA LANGUE EST UN FREIN A L’APPRENTISSAGE»

DR ROKHAYA CISSE, COORDINATRICE DU BAROMÈTRE JÀNGANDOO «LA LANGUE EST UN FREIN A L’APPRENTISSAGE»

Sociologue, coordinatrice du baromètre citoyen Jàngandoo, Dr Rokhaya Cissé est d’avis que l’utilisation des langues locales pourrait aider à obtenir une éducation de qualité. Tout comme développer une stratégie de remédiation pouvant prendre en charge les enfants en difficulté. A l’en croire, le français, langue étrangère, utilisée pour les enseignements «est un frein à l’apprentissage ». Entretien.

Vous êtes chercheure au Lartes de l’Ifan. Les questions de pauvreté vous intéressent et ont fait l’objet de votre sujet de thèse. Quel glissement entre ce phénomène de pauvreté et l’éducation ?

Nous avons remarqué que les personnes les plus pauvres sont des gens non instruits. 80% des pauvres chroniques dans l’enquête que nous avons menée, entre 2008 et 2009, sont des personnes non instruites, surtout vivant dans le milieu rural. Lorsque nous avons travaillé avec des individus qui ont réussi à rompre le processus de pauvreté, on a vu que l’école était un ascenseur social pour ces gens. C’est un moyen de sortir de la pauvreté.

Quelles sont les nouveautés de Jàgandoo en 2019 ?

Le baromètre citoyen Jàngandoo est d’aller dans les ménages pour tester les enfants et mesurer la qualité à partir des ménages et non à partir des écoles. Les évaluations sont faites davantage avec l’école, notamment les enseignants, les inspecteurs, et surtout mesurer les performances à l’école. La nouveauté de 2019 est de toucher tous les enfants en dehors des élèves.

Pourquoi l’absence des enseignants et des inspecteurs dans l’enquête de Jàngandoo ?

Dans le modèle actuel de Jàngandoo, nous n’avons pas un lien direct avec les enseignants et inspecteurs. Nous approchons cette question via un autre outil, notamment la question sur les lieux d’apprentissage, dans lequel nous interviewons les directeurs d’école qui nous donnent certaines informations nécessaires pour saisir l’environnement des apprentissages. Il s’agit bien de lieux d’apprentissage car, l’école n’est pas la seule concernée. Nous sommes aussi dans les daaras.


Dans la recherche de solutions aux problèmes observés dans les résultats du baromètre en termes de stratégie éducative, il y a la remédiation. Les enseignants, les directeurs d’école, les inspecteurs sont au centre du dispositif de remédiation pour apporter la solution à ces enfants qui connaissent les difficultés d’apprentissage.


On va évaluer et ensuite essayer d’apporter des solutions. Les enseignants ne sont pas suffisamment sensibilisés sur ces questions. On a un programme de remédiation à l’école que nous sommes en train de tester dans les régions de Kolda, Matam, Kaffrine. C’est un programme qui allie les deux : une remédiation à l’école et une remédiation dans les communautés avec ce qu’on appelle les remédiations communautaires. Ces derniers, ce sont des jeunes recrutés par la communauté pour la prise en charge des enfants en difficulté. On a cette solution qui met face-à-face les acteurs, notamment les enseignants, les inspecteurs, directeurs. Nous avons environ 30 à 50% de relèvement du taux en lecture et en mathématique après 2 mois de remédiation. Les enfants assurent la lecture des mots. Le défi se trouve au niveau de la compréhension. Ils arrivent à lire un texte, des phrases. C’est un problème de compréhension.

Ne devrions-nous pas accélérer la mise à l’échelle nationale des langues locales pour une éducation de qualité ?

La mise à l’échelle nationale des langues dans nos écoles et établissements devait se faire depuis bientôt longtemps. C’est le moment de généraliser les langues nationales dans nos processus d’enseignement et apprentissage. La langue est un frein à l’apprentissage.


Ce n’est pas que les enfants n’ont pas le niveau. Ce n’est pas que les enseignants ne le font pas suffisamment. La barrière de la langue est un vrai problème dans le système éducatif. Il y’a des enfants qui entendent pour la première fois le français lorsqu’ils entrent à l’école. Les enfants ne sont pas habitués. La langue est un vrai problème. Il est temps qu’on engage une discussion sérieuse et que les expériences (Ared, Atlas, Elan et Lecture pour tous) soient fédérées, systématisées, et bien articulées dans le système.

Avec le Curriculum de l’éducation de base, la non maitrise de l’approche par les compétences par les enseignants ne constitue-t-elle pas un frein à la qualité de l’éducation ?

Je crois qu’il faut organiser une formation continue de mise à niveau des enseignants. Nous insistons sur ce point depuis le début de l’initiative Jàngandoo. Il faut que les apprentissages reflètent l’univers culturel des enfants. Si vous voulez toucher un enfant, il faut lui parler de ce qu’il connait, ce qui est dans son environnement direct. On sent qu’il y a un besoin pressant d’adapter les apprentissages aux réalités culturelles.


Maintenant, l’autre point est de pouvoir se doter d’une stratégie de remédiation concrète. C’est bien de dire qu’il faut remédier, mais pour remédier, il faut une formation, des outils, une évaluation pour voir les progrès. C’est un dispositif qu’il faut penser pour mettre en œuvre. C’est le défi à relever. On le fait dans les régions, dans des inspections académiques, mais il y a trop d’enfants qui sont laissés en rade. 80% des enfants, entre 9 et 16 ans, qui ne réussissent pas à un test de niveau médian, n’ont pas le niveau. Je ne parle même des enfants qui sont hors du système qui présentent des difficultés assez profondes.

Avec ce diagnostic, peut-on s’attendre à l’atteinte des objectifs de développement durable 4 pour le Sénégal, notamment assurer l’accès de tous à une éducation de qualité ?

Il y a beaucoup d’actions qui sont faites pour améliorer la qualité des apprentissages, tout comme il reste beaucoup de défis. Lorsqu’on parle qualité de l’éducation, on focalise sur l’environnement, sur les enseignants et intrants pédagogiques. Il faut également voir comment on peut agir directement pour relever la qualité des apprentissages. Ce n’est que la remédiation qui peut permettre cela.

Comment faire en sorte que les enfants puissent mieux apprendre et comprendre pour relever les niveaux de performance dans les disciplines fondamentales comme la lecture ?

Moi, Dr Rockhaya Cissé, Sociologue


Chercheure au Laboratoire de recherche sur les transformations économiques et sociales (Lartes) de l’institut fondamental d’Afrique noire (Ifan) de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad), Dr Rokhaya Cissé est coordinatrice du baromètre citoyen Jàngandoo. Après ses études en France jusqu’à la maitrise en Sociologie, elle est revenue au Sénégal pour poursuivre ses études. Elle fait sa thèse en alternance entre Paris et Dakar. Elle a travaillé sur la transmission intergénérationnelle de la pauvreté. «Je voulais avoir une approche longitudinale de la pauvreté, c’est-à-dire observer le phénomène de la pauvreté dans le temps, plus particulièrement dans la vie des individus. Comment la pauvreté se transmet d’une génération à une autre», nous confie-t-elle.

SudOnLine Ibrahima Baldé


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