Auteur du livre « Emergence économique des Nations , Définition et mesure : Editions Harmattan, Mars 2017 »
      Selon le dictionnaire Le Robert,«émerger »  se dit d’un phénomène «qui s’impose à l’attention par sa valeur ». Subséquemment, on peut considérer qu’un pays, anciennement pauvre, émerge lorsqu’il suscite l’intérêt et se démarque de la masse des nations sous-développées et situées en marge des échanges mondiaux de biens, de services et d’idées. 
  Mais, à partir de quel moment, dans son cheminement vers le progrès économique, peut-on considérer qu’un pays est réellement devenu émergent ? Cette question est d’autant plus pertinente qu’aujourd’hui plusieurs pays, sur tous les continents, prétendent avoir atteint le stade de l’émergence ou sont en voie de l’être. Et, il est d’autant plus difficile de les départager qu’il n’existe à ce jour aucune définition consensuelle de la notion d’émergence. La même problématique se posait avec le concept de « décollage » de Walt W. Rostow. 
  La notion d’émergence est une variation, adaptée à la mondialisation en cours, sur le même thème de « décollage ». Elle marque un réel point tournant, faisant passer un pays pauvre d’un équilibre de faible croissance à un meilleur équilibre de croissance forte, durable et diversifiée, dans un contexte de stabilité macro-économique.  
    
  Bien cerné, le concept d’émergence viendrait ainsi apporter une grande contribution à la théorie du développement. Car, jusqu’ici le seul but fixé aux nations pauvres est de chercher à converger avec les pays riches. Or, la convergence est un chantier de longue portée (des dizaines voire des centaines d’années), comme en atteste l’histoire économique contemporaine. Et, ne retenir comme cible que cet horizon lointain conduirait à inclure, pour longtemps, dans le même ensemble de pays en développement, des nations aux trajectoires et aux perspectives fort diverses.   
     
  Des trajectoires divergentes des pays pauvres depuis 1960  
  Certains économistes (dont Solow) ont estimé que, même si elle doit prendre du temps, la convergence des revenus par tête entre pays riches et pays pauvres finira tôt ou tard par se réaliser, ces derniers ayant tendance à croître plus vite (hypothèse de la convergence absolue).  
  Les faits empiriques ont contredit la prédiction de convergence absolue des pays. L’analyse de la base de Maddison (2003) montre ainsi qu’entre 1960 et 2003, les performances des pays partis avec des niveaux faibles de revenus par tête ont été fort diverses et que seuls quelques uns d’entre les pays anciennement pauvres (les pays gagnants) ont réussi à s’inscrire dans une dynamique de convergence avec les pays riches.  
  Plusieurs auteurs se sont alors mis à testé, par le biais de travaux empiriques, la validité de l’hypothèse de convergence. Barro (1997) met en évidence le rôle positif du maintien de la règle de droit et de la faiblesse de la consommation du secteur public, du niveau initial élevé d’espérance de vie et de la scolarisation masculine, du faible taux de fécondité et de l’amélioration des termes de l’échange. Pour un niveau donné de ces variables, la croissance est plus forte si le pays part avec un niveau faible de PIB par tête (phénomène de convergence conditionnelle). Selon Barro (1997), l’impact de la démocratie (droits politiques) sur la croissance est peu clair: lorsque le degré de démocratie est faible, un accroissement favorise la croissance, mais lorsque le degré de démocratie devient plus élevé, un nouvel accroissement a un impact négatif sur la croissance, du fait du poids devenu important des groupes de pression sur les dépenses publiques.  
     
  Les pays qui ont réussi ont appliqué des recettes diverses  
  Les pays gagnants de la période 1960-2003, comme la Corée du Sud, le Botswana, la Malaisie, la Chine ou Maurice, ont mis en œuvre des stratégies hétérodoxes pour réaliser des performances, mêlant attraction des investissements étrangers, promotion active des exportations (y compris par la manipulation du taux de change et le maintien de plusieurs marchés de change au niveau interne, protection (par le biais de tarifs et d’éléments non tarifaires) et subvention des industries locales, encouragement des PME ou des grandes entreprises, etc. Et, il est difficile de trouver, parmi la palette d’instruments, une recette simple permettant de trouver des clés de succès universelles (Rodrick 2004). 
  Le nouveau contexte mondial tend à contraindre les choix stratégiques des pays  
  Le nouveau mouvement de mondialisation de l’économie en cours caractérisé par un «monde sans frontières» («Bordeless world», Kenichi Ohmae) et marqué par la libéralisation sans précédent des échanges, la révolution de l’informatique et des télécommunications, le développement rapide de la sous-traitance mondiale, et l’ouverture des marchés et la liberté plus grande de circulation des capitaux, réduit très fortement la marge de manoeuvre des pays dans la conduite de leur politique économique. Pour les pays pauvres, désireux de recevoir une aide internationale, une contrainte supplémentaire s’ajoute : celle de satisfaire les conditionnalités du Fonds Monétaire International et de la Banque Mondiale qui mettent en avant la levée des distorsions potentiellement créées par les politiques de protection et de subvention et encouragent les pays à réduire les réglementations et à orienter leur économie vers l’extérieur «outward looking policy». 
  Pour pouvoir amorcer une dynamique de croissance forte et durable («growth sustaining»), tout pays pauvre doit donc tenir compte, dans la définition et dans la mise en oeuvre de sa stratégie de développement, de la donnée que constitue la nouvelle mondialisation qui offre autant d’opportunités que de contraintes. Il doit chercher à exister sur la carte des réseaux mondiaux de production et d’échanges d’idées et de savoirs, de capitaux, de biens et de services, sous peine de perdre en dynamisme économique, en mettant en place un environnement des affaires de classe internationale et en menant de bonnes politiques macroéconomiques pour rassurer les investisseurs sur ses perspectives futures. Il doit également accompagner sa stratégie de croissance économique par une transformation structurelle correspondante (CEA/CUA 2013, Rapport économique sur l’Afrique), en créant de la valeur ajoutée sur son territoire. 
  L’émergence constitue un préalable et une étape décisive vers la convergence et le développement intégral 
  La convergence est un long processus 
  Le pays le plus performant de la classe de pays pauvres de 1960 (la Corée du Sud) ne parvient toujours pas à rattraper les États Unis en terme de revenu par habitant. Même s’il a fortement réduit le gap initial, son PIB par tête ne représente encore que 54% de celui des Etats-Unis en 2003 (contre seulement près de 11% en 1960). Si la tendance à la convergence se maintient (sans doute à un rythme moins rapide, au fur et à mesure que la Corée se rapproche des Etats-Unis), la Corée du Sud ne pourra au mieux égaler le revenu par habitant des Etats-Unis qu’après 2020, soit 60 ans après avoir commencé à accélérer sa croissance.  
  Pour les pays moins performants et inscrits dans une dynamique de convergence, la durée de la convergence sera encore plus longue et représentera cent à deux cents ans voire davantage.   
   L’émergence donne des ressorts pour accélérer la marche vers la convergence et le développement intégral 
  La convergence étant un processus de longue haleine, l’émergence représente une étape qui lorsqu’il est franchi rend plus soutenable le chantier de rattrapage des pays riches. Elle possède une autre vertu : celle de sanctionner positivement les progrès accomplis par les pays les plus performants et de  leur permettre d…