Alors que Trump affirmait il y a peu que l’Ukraine devait céder définitivement les territoires occupés, il annonce désormais sur Truth Social que Kiev peut reconquérir ces zones avec l’aide de l’Union européenne et de l’OTAN. D’où vient ce brusque retournement?
“Cela prouve avant tout que Trump est totalement imprévisible. Demain, ou même dans quelques heures, il peut dire quelque chose de complètement différent. Mais il est vrai aussi que la situation a profondément changé par rapport à la mi-août, quand Trump avait reçu Poutine en Alaska avec beaucoup d’égards.” 
        
“Plusieurs éléments ont fini par peser sur Trump. Premièrement, les frappes ukrainiennes en profondeur contre les raffineries, les dépôts de pétrole et les ports russes ont bel et bien un impact négatif sur l’économie russe et sur la vie quotidienne de “l’Ivan moyen”. De plus, la Russie souffre des paquets de sanctions, surtout européennes, ce qui, combiné, fait vaciller sa principale source de revenus. Au début de la guerre, le trésor de guerre russe comptait 600 milliards de dollars ; il n’en reste plus qu’environ 100 milliards aujourd’hui.”
“Trump a également compris que la brèche ouverte par les Russes il y a un mois et demi près de Pokrovsk a été comblée par les forces ukrainiennes. La ligne de front a été rétablie à son niveau d’il y a un mois, et même la petite incursion russe dans la région de Soumy a été repoussée.”
Les incursions russes, par des drones au-dessus de la Pologne et des avions de chasse dans l’espace aérien estonien, ont-elles contribué à ce changement de cap?
“Le président polonais Karol Nawrocki s’est rendu il y a quelques jours à la Maison-Blanche et a clairement fait comprendre à Trump que ces incidents rendent la guerre tangible pour les alliés des États-Unis. La Pologne a les faveurs de Trump, car elle consacre 4,6 % de son PIB à la défense et achète massivement des armes américaines. Un “bon” allié qui affirme que la situation devient critique a certainement pesé dans le revirement du président américain.”
Interrogé sur la possibilité d’abattre des avions russes violant l’espace aérien d’un pays de l’OTAN, Trump a répondu positivement. Mais il a esquivé la question de savoir si les États-Unis apporteraient leur soutien: “Cela dépend des circonstances”, a-t-il dit. Que faut-il comprendre?
“Que cela n’arrivera pas. Les États-Unis n’apporteront aucun soutien dans un tel cas, et le Kremlin l’a entendu. Trump dit certes que les Russes peuvent être repoussés en Ukraine avec l’aide de l’UE et de l’OTAN, mais seuls un très grand nombre de soldats européens au sol peuvent affronter les 750.000 militaires russes présents en Ukraine.”
“Sans le soutien massif des États-Unis – sous forme d’armes à longue portée, de renseignements, d’avions ravitailleurs, de moyens de guerre électronique, de munitions, etc. – les Européens n’en sont pas capables. Actuellement, environ 350.000 soldats européens pourraient être mobilisés. Ces forces, avec 600.000 Ukrainiens, devraient pouvoir retenir les Russes. Mais pour envisager une offensive, il faut un rapport de force de trois contre un. ”
“De plus, dans les capitales européennes, l’enthousiasme pour l’envoi de troupes au sol reste fort faible: l’Italie et l’Espagne s’y opposent, même Berlin et Varsovie hésitent. Donc ces 350.000 soldats européens n’arriveront jamais. Seule une mobilisation totale des Américains – avec les 300.000 militaires prévus dans leurs plans de défense de l’OTAN, ainsi que leurs porte-avions, leurs bombardiers, leurs sous-marins, leurs drones, les moyens de guerre électronique, et tout le reste – pourrait donner une chance de succès au ballon d’essai que Trump lance aujourd’hui.”
En février, Trump s’était disputé avec Zelensky dans le Bureau ovale, le mois dernier il a déroulé le tapis rouge pour Poutine en Alaska, ensuite les dirigeants occidentaux se sont agenouillés devant lui, et maintenant il embrasse soudainement la cause ukrainienne. Est-il tellement en colère contre Poutine parce qu’il craint de se voir privé d’un prix Nobel de la paix?
“Cela joue certainement. Trump se sent humilié par Poutine. Après l’Alaska, il pensait pouvoir conclure un accord pour mettre fin à la guerre. Mais un mois et demi plus tard, il constate qu’il s’est fait berner par Poutine, et ça, il ne le supporte pas, il est furieux. Ajoutez à cela la situation économique en Russie et l’évolution sur le champ de bataille, et cette combinaison a provoqué le déclic chez Trump.”
La parade militaire organisée début septembre à Pékin, où Poutine posait aux côtés de Xi Jinping et Kim Jong-un, a-t-elle aussi démontré à Trump que le président russe choisira toujours la Chine ?
“L’été dernier, des signaux venus de Washington laissaient penser qu’un des axes de la politique étrangère de Trump serait d’essayer de semer une brouille entre Pékin et Moscou. Mais la parade militaire chinoise a démontré que le lien entre la Chine et la Russie est plus fort que jamais, et que Washington n’a aucun moyen de s’y insérer. C’est à ce moment-là que l’idée s’est imposée à Washington de miser plutôt sur une bonne coopération avec les Européens. Néanmoins, pour les Américains, la Chine reste l’ennemi principal et concentre l’essentiel de leurs efforts diplomatiques. La guerre en Ukraine n’est pour Trump qu’un théâtre secondaire.”
Selon Zelensky, les États-Unis pousseront la Russie vers la paix et le virage de Trump changera la donne comme seul Trump en est capable. Mais celui-ci s’est contenté d’affirmer que les États-Unis continueraient à vendre des armes à l’Ukraine, sans dire un mot sur d’éventuelles sanctions contre la Russie. Beaucoup de bruit pour rien?
“C’est exactement ce que je veux dire. Si Trump avait annoncé des sanctions secondaires sévères contre les pays commerçant avec la Russie et un renforcement du soutien militaire américain à l’Ukraine, je croirais qu’il est sérieux. Trump a les moyens de faire souffrir la Russie, mais il ne les utilise pas. Il détient le levier, mais ne s’en sert pas. Cela reste de la rhétorique: il n’accompagne pas ses paroles d’actes. Il est furieux contre Poutine, mais il ne montre pas les crocs.”
 
   
   
                 
                 
                