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Sénégal : Ce que le duo Sonko-Diomaye entend imposer avec le nouveau gouvernement

Sénégal : Ce que le duo Sonko-Diomaye entend imposer avec le nouveau gouvernement

Le remaniement ministériel opéré le 6 septembre 2025 marque une inflexion majeure dans l’architecture du gouvernement sénégalais. En écartant les technocrates, en reléguant ses alliés à des postes secondaires et en plaçant des fidèles aux commandes des ministères régaliens, Ousmane Sonko traduit en acte sa volonté de bâtir un État-parti.
 
 
 
Le remaniement ministériel du 6 septembre 2025 au Sénégal ne se limite pas à un simple réajustement d’équilibre. Il traduit une rupture politique majeure : les technocrates indépendants, censés incarner la promesse d’une gouvernance de compétence et de neutralité, sont écartés. Les alliés politiques, eux, sont relégués à des ministères périphériques, tandis que les fidèles du Pastef s’emparent des postes régaliens. Or, c’est précisément contre cette logique de politisation excessive que le parti au pouvoir avait bâti sa légitimité : tourner la page de la politique politicienne et rompre avec les pratiques des anciens régimes. En privilégiant ses hommes liges au détriment de l’équilibre et de l’ouverture, le Pastef semble se dédire de son ambition initiale de bâtir un État différent.
 
 
 
Un  gouvernement resserré autour du Pastef
Le Président Bassirou Diomaye Faye et son Premier ministre Ousmane Sonko ont franchi un cap. Depuis des semaines, la rumeur courait sur la nécessité d’un rééquilibrage gouvernemental. Mais la brutalité et la clarté des choix posés le 6 septembre 2025 ont surpris même les plus avertis. Le message est limpide : le Pastef n’entend plus partager l’essentiel du pouvoir exécutif avec ses alliés, ni laisser les technocrates trop indépendants occuper des postes stratégiques.
En avril dernier déjà, Ousmane Sonko avait mis en garde contre la tentation d’un gouvernement trop composite, plaidant pour la «cohérence politique» et pour ce qu’il appelait sans ambages un État-parti. Un mois plus tard, il tape sur la table en Conseil des ministres, accusant certains de ses collaborateurs de «tiédeur» dans la mise en œuvre du projet souverainiste. Le remaniement du 6 septembre est l’acte qui concrétise cette orientation.
 
 
 
La diplomatie confiée à un fidèle du sérail
Le premier changement marquant est la nomination de Cheikh Niang au ministère de l’Intégration africaine, des Affaires étrangères et des Sénégalais de l’extérieur. Diplomate chevronné, ancien représentant permanent auprès des Nations-Unies, Cheikh Niang incarne un retour au professionnalisme dans la conduite de la diplomatie sénégalaise. Mais il ne s’agit pas d’un simple ajustement : en écartant Yassine Fall, figure militante du Pastef, du poste de chef de la diplomatie, le gouvernement choisit de la réorienter vers le ministère de la Justice, en remplacement du magistrat Ousmane Diagne.

Ce jeu de chaises musicales illustre deux lignes : Niang est perçu comme une voix respectée sur la scène internationale, capable de crédibiliser la politique extérieure du Sénégal après des mois de tensions avec Paris et Bruxelles. Quant à Yassine Fall, sa proximité idéologique avec Sonko fait d’elle une garante politique au sein du ministère de la Justice. L’éviction d’Ousmane Diagne, magistrat réputé indépendant, est un signal : le Pastef ne veut plus de contre-pouvoirs à la tête d’une institution clé dans la bataille contre la corruption et dans la gestion des affaires sensibles.
 
 
 
L’intérieur, le cœur du pouvoir, livré à un sonkiste
 Mais c’est sans doute la nomination qui fera le plus débat : Mohamedou Bamba Cissé, avocat personnel d’Ousmane Sonko, prend le portefeuille de l’Intérieur et de la Sécurité publique. Il remplace le général Jean-Baptiste Tine, incarnation de la technocratie militaire et figure d’équilibre au sein du gouvernement. Le ministère de l’Intérieur, chargé des élections, de la police et de la sécurité nationale, est la pierre angulaire de l’État. En y installant un proche, Sonko verrouille un levier stratégique à l’approche des échéances électorales locales et face à une opposition qui reprend des couleurs. Pour ses adversaires, cette nomination est une «politisation dangereuse» d’un ministère qui devrait rester neutre. Pour le Pastef, c’est au contraire un «acte de cohérence» : la sécurité intérieure et l’organisation des scrutins doivent être conduites par des responsables engagés dans le projet souverainiste.
 
 
 
Les alliés renvoyés à l’arrière-plan
Le remaniement n’a pas totalement oublié les alliés. Déthié Fall, leader du Prp, fait son entrée au gouvernement comme ministre des Infrastructures. C’est un portefeuille important, mais qui reste éloigné des postes régaliens. Pour beaucoup d’observateurs, il s’agit plus d’une récompense symbolique que d’un véritable partage de pouvoir.
De même, Dr Abdourahmane Diouf, qui quitte l’Enseignement supérieur pour diriger le ministère de l’Environnement et de la Transition écologique, échange son portefeuille avec le professeur Daouda Ngom. Ces permutations traduisent une volonté de dynamiser des secteurs jugés trop statiques.
 
 
 
 
 
L’émergence de nouvelles figures
Parmi les entrants, on note la nomination de Marie Rose Faye au poste de secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée des Relations avec les Institutions et porte-parole du gouvernement. Cette ancienne directrice générale de l’Adepme devient la troisième femme à occuper cette fonction dans l’histoire du Sénégal. Son profil technocratique et son expérience dans l’accompagnement des Pme sont perçus comme des atouts pour donner un visage moderne et inclusif au gouvernement.
Amadou Ba, député de Thiès, prend le ministère de la Culture, du Tourisme et de l’Artisanat, fruit de la scission de l’ancien «giga ministère» de Khady Diène Gaye. Si ce portefeuille peut briller à l’international, il ne pèse pas dans la définition des orientations stratégiques du pays. Là encore, la lecture est claire : les alliés et les figures périphériques sont tolérés au gouvernement, mais cantonnés à des ministères secondaires.
 
 
 
 
La mise à l’écart des technocrates
 Le fil rouge de ce remaniement, c’est l’éviction des technocrates jugés «trop indépendants» : Ousmane Diagne à la Justice, Jean-Baptiste Tine à l’Intérieur. Tous remplacés par des figures politiques ou partisanes.
Le message est double. D’abord, Ousmane Sonko et Bassirou Diomaye Faye entendent aligner l’ensemble de l’appareil d’État sur le Pastef, quitte à sacrifier l’équilibre et l’expertise. Ensuite, ils veulent préparer les échéances électorales et sociales à venir avec un gouvernement resserré, homogène et discipliné. Les temps des compromis semblent terminés.
 
 
 
Un pari risqué
Mais, cette stratégie n’est pas sans risques. L’opinion publique sénégalaise a souvent montré son attachement à la diversité et à l’équilibre dans la composition des gouvernements. En marginalisant les technocrates et en reléguant les alliés, le Pastef prend le risque d’apparaître comme un parti hégémonique, sourd aux équilibres politiques. Certains redoutent également que la mainmise sur la Justice et l’Intérieur ne conduise à une concentration excessive du pouvoir, à rebours des engagements initiaux du projet Sonko-Diomaye, qui promettait une gouvernance « sobre et vertueuse ».
 
 
 Une recomposition qui prépare l’avenir
Ce remaniement est donc plus qu’une redistribution de portefeuilles. C’est une recomposition politique majeure, qui redéfinit les rapports de force au sein du pouvoir exécutif. Les alliés sont réduits au rôle de figurants, les technocrates mis à l’écart, et les fidèles du Pastef propulsés aux postes stratégiques. Reste à savoir si cette logique d’État-parti tiendra face aux réalités de la gouvernance, aux tensions sociales et aux pressions internationales. Mais une chose est sûre : le Sénégal entre dans une nouvelle phase politique, où le Pastef assume pleinement son hégémonie.

Les Echos


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