Depuis 2018, le nom de Kocc Barma incarnait la face la plus sombre du web sénégalais. Derrière ce pseudonyme redouté, un cybercriminel invisible, auteur présumé de la plus vaste campagne de diffusion de contenus intimes jamais enregistrée dans le pays. Aujourd’hui, ce visage a un nom : El Hadji Babacar Dioum, 38 ans, arrêté à Bourguiba après plusieurs années d’investigations patientes et complexes.
Connu dans la vie publique comme gérant d’un restaurant bien établi, Eddy’s, et concessionnaire automobile, Dioum menait une existence sans histoires, loin de toute exposition numérique. Mais selon les enquêteurs, il menait en parallèle une double vie numérique, où il serait à la tête d’un réseau structuré de cybercriminalité, impliquant la diffusion massive de sextapes, le chantage, et l’extorsion, avec des victimes recensées par milliers, dont certaines mineures.
Une invisibilité numérique savamment orchestrée
Pour se soustraire aux autorités, Kocc Barma avait mis en place une stratégie d’effacement numérique quasi totale. Aucun profil identifiable sur les réseaux sociaux, usage de pseudonymes neutres, VPN, navigateurs sécurisés comme Tor, suppression systématique des métadonnées… Tout était pensé pour brouiller les pistes et simuler une présence à des milliers de kilomètres – quand bien même il se trouvait à Dakar.
« On peut se rendre presque invisible sur Internet, mais jamais totalement. Il reste toujours une trace », explique Gérald Dacosta, expert en cybersécurité interrogé par L’Observateur. Et c’est justement cette trace résiduelle qu’ont fini par exploiter les forces de sécurité sénégalaises.
L’enquête : un puzzle patient
Armés de techniques d’OSINT (Open Source Intelligence) et de forensic numérique, les enquêteurs de la Division spéciale de la cybersécurité (DSC) ont patiemment collecté les fragments d’identité : un ancien numéro de téléphone, une adresse IP, des pseudonymes récurrents, jusqu’à l’arrestation finale.
Dans le MacBook Pro saisi, les preuves sont accablantes : des milliers de fichiers compromettants, des preuves de transactions financières, ainsi qu’un lien direct établi avec les plateformes pornographiques « Seneporno » et « Babyporno ». Dioum nie toujours être l’homme derrière Kocc Barma, mais les enquêteurs affirment détenir des preuves irréfutables.
Des charges extrêmement lourdes
Déféré au parquet le lundi 21 juillet, El Hadji Babacar Dioum a été inculpé pour association de malfaiteurs, atteinte à la vie privée, stockage et diffusion de données personnelles, diffusion d’images à caractère pédopornographique, chantage, extorsion, blanchiment d’argent, entre autres.
Il risque, en cas de condamnation, plusieurs décennies de prison. Le parquet s’apprête à ouvrir une instruction approfondie afin d’identifier d’éventuels complices et l’étendue exacte du préjudice.
Un traumatisme national en ligne de mire
Au-delà de l’individu, l’affaire Kocc Barma soulève des questions graves sur la cybersécurité, la protection de la vie privée, et la lenteur de la législation face à la criminalité numérique. Des centaines de femmes, parfois mineures au moment des faits, ont vu leur vie basculer dans l’ombre du cyberharcèlement.
Le Sénégal, désormais confronté à cette réalité brutale du numérique, devra repenser son arsenal juridique pour mieux protéger les citoyens dans un monde où un simple pseudonyme peut devenir une arme de destruction.