Douze ans de combat, une désillusion profonde. Ce jeudi, la Cour suprême du Sénégal a annulé toutes les décisions précédemment rendues en faveur de Ferdinand Coly dans l’affaire qui l’oppose à Aïssatou Sissah, actuelle présidente du Conseil départemental de Guédiawaye. Par voie de fait judiciaire elle récupère une villa bâtie par l’ancien international sénégalais. Coup de tonnerre judiciaire. Coly accepte de nous recevoir, chez lui, à Dakar, quelques heures après ce coup de massue. L’observateur a tenu à donner la parole à un homme qui a toujours gardé le silence sur cette affaire, et qui aujourd’hui veut s’expliquer à cœur ouvert.
Comment avez-vous accueilli la décision rendue par la Cour suprême ?
C’est vraiment un coup dur pour la justice, mais c’est que la Cour suprême vient de poser sur les faits. Ce qui est certain, c’est que c’est une décision qui fait mal et qui fait très mal. Je suis complètement désemparé. En fait, on a simplement tout détruit. Ce jeudi matin, très tôt, je suis parti au Tribunal. Sans être défaitiste, il vous arrive de ressentir, dès votre arrivée, un parfum étrange dans le comportement des gens. Vous sentez qu’il se passe quelque chose. Quand le Président est arrivé, j’ai compris que ça allait mal finir. Quand il a demandé aux avocats de s’approcher, il y avait comme un vide en moi. Quand la décision est tombée, je suis sorti sans dire un mot. Je suis rentré chez moi, et je suis resté dans le silence.
Vous parlez d’injustice. Pourquoi ?
Parce que je suis un homme qui a toujours cru en la justice. Parce que j’ai tout respecté dans cette affaire. Parce que je suis allé jusqu’au bout de la procédure. Parce que je n’ai jamais demandé de faveur ou de traitement particulier. Parce que j’ai cru à l’État de droit. J’ai voulu faire confiance aux institutions. Et, au final, je perds tout. Ce n’est pas juste. Aujourd’hui, la justice me demande de quitter ma maison, celle que j’ai bâtie. Je ne sais pas si vous vous rendez compte du traumatisme que ça représente.
Qu’a dit exactement la Cour suprême ?
Elle a jugé sur la forme. C’est le rôle de la Cour suprême. Elle a estimé que la juridiction précédente n’avait pas le droit de se prononcer sur ce point. La Cour suprême ne dit pas qu’elle a raison, ni qu’elle a tort. Elle dit simplement : on ne devait pas vous écouter à ce niveau-là. Ce qui veut dire que pendant toutes ces années, on m’a baladé de juridiction en juridiction pour qu’au final on me dise : on ne pouvait pas vous écouter.
Vous semblez très atteint. Qu’est-ce qui vous fait le plus mal ?
C’est d’avoir toujours voulu faire confiance aux règles. C’est d’avoir avancé à visage découvert, dans une procédure que je n’ai jamais cherché à truquer ou contourner. Ce que je dis là, je le dis avec ma conscience. J’ai l’impression qu’on m’a puni d’avoir été honnête. Ce pays ne protège pas ceux qui essaient de faire les choses dans les règles. On vous méprise quand vous ne cherchez pas de passe-droits. On vous rejette quand vous n’êtes pas dans les réseaux. Moi, j’ai voulu mener ce combat seul, avec mes moyens, avec mes convictions. Ce pays ne récompense pas cela. Il vous le fait payer.
Quelle est la suite ? Vous devez quitter la maison ?
Oui. C’est ce que dit la décision. Il faut que je parte. J’ai déjà reçu des convocations d’huissiers. On va me faire sortir de chez moi. C’est difficile à dire, mais c’est ce qui est prévu. Vous imaginez ce que ça signifie ? Que douze ans d’efforts, de procédures, d’avocats, de dépenses, de souffrances, de nuits blanches… soient balayés par un mot : irrecevable. Vous imaginez ?
Envisagez-vous de quitter le Sénégal ?
Je n’ai pas décidé. Je suis un fils de ce pays. Mais je suis désabusé. J’ai longtemps cru que la justice me rendrait ce qui me revient. Aujourd’hui, je ne sais plus. Je suis fatigué. J’ai envie de me replier. De me protéger. J’ai donné tout ce que j’avais. J’ai payé mes impôts. J’ai toujours été droit. J’ai toujours défendu ce pays. Et aujourd’hui, ce pays me renvoie cette violence. C’est dur.
Pensez-vous que la justice tourne mieux vers l’investissement pour les nationaux ?
C’est un débat profond. Je ne vais pas rentrer là-dedans, mais ce que je vis aujourd’hui est incompréhensible. Et je suis loin d’être le seul. Il y a beaucoup de Sénégalais qui se battent pour leurs droits et qui se heurtent à des murs. On dit souvent que ce pays appartient à ceux qui le construisent. Mais ce n’est pas vrai. Ceux qui le construisent n’ont aucun pouvoir sur ce qui leur appartient. On les méprise.
Allez-vous livrer un dernier combat judiciaire ?
Je ne sais pas. Ce combat m’a usé. Il m’a détruit. Il m’a blessé. Je ne veux plus me battre pour qu’on me reconnaisse mes droits. Parce que c’est peine perdue. Ce n’est pas que je me résigne. C’est juste que je ne peux plus. Aujourd’hui, on me dit que j’ai tous les problèmes du monde, mais qu’on ne peut rien faire pour moi. Chacun pense que je suis protégé. Au contraire, c’est ce combat-là qui m’a tout fait perdre. Ce pays, ce n’est pas un pays pour les gens honnêtes. Et je mesure mes mots. Si j’étais malhonnête, si j’étais dans les combines, si j’avais triché, on m’aurait peut-être respecté. Mais là, on m’a piétiné.
Vous tenez une carte avec le rabat d’honneur. Vous restez confiant envers la justice pour aller jusqu’au bout ?
Je n’y crois rien. Désolé. Je suis brisé. Je suis fatigué. Il y a des décisions qu’on ne comprend pas. Des logiques qu’on ne peut pas expliquer. Comment peut-on annuler toutes les décisions précédentes sur la base d’un détail de procédure, alors que les faits sont là ? On sait que cette maison m’appartient. Tout le monde le sait. Même mes opposants le savent. Mais on vous dit : vous avez mal saisi la juridiction. C’est une claque. C’est une violence. La justice a choisi son camp. Elle n’a pas voulu me protéger.
Vous aviez pourtant de faire une médiation ?
J’ai tenté. À leur place, je pensais que le bon sens allait prévaloir. Mais j’avais tort. Je suis tombé sur un mur. Je n’ai eu aucun respect. J’ai subi des humiliations. J’ai été trainé dans la boue. Pourtant, ce combat, je l’ai mené à visage découvert. Aujourd’hui, je me retrouve seul, sans maison, sans explication. J’ai l’impression que ce pays m’a rejeté. On m’a puni d’avoir cru aux règles.
Que fait la justice vous vous battre pour faire respecter vos droits ?
Rien. Elle m’a laissé tomber. Elle m’a humilié. Je n’ai pas eu droit à un procès juste. Je me suis retrouvé à la barre de 10h à minuit. Je ne savais même pas que ça pouvait exister. J’ai été loyal, j’ai suivi les règles, j’ai tout dit, tout mis sur la procédure. Et aujourd’hui, on me dit que j’ai eu tort de faire confiance à la loi. Alors je pose la question : à quoi sert-il d’être honnête dans ce pays ?
Pensez-vous qu’il y a eu collusion entre la justice et les intérêts politiques ?
Je ne vais pas accuser sans preuve. Mais j’ai vu beaucoup de choses. J’ai vu comment certains ont agi dans cette affaire. J’ai vu des manœuvres. J’ai vu des silences suspects. Je laisse chacun en tirer les conclusions qu’il veut. Mais ce que je sais, c’est que j’ai perdu une bataille que je ne méritais pas de perdre.