Mme Oumou Niang Touré est la présidente de l’Association des assureurs du Sénégal (Aas). Dans une interview exclusive au « Journal de l’économie sénégalaise-Lejecos », elle se félicite des performances du marché sénégalais. En 2023, révèle la Présidente de l’Aas, notre marché a réalisé un chiffre d’affaires global (pour les branches dommages et vie) de 274 milliards de F CFA soit une évolution de 11% par rapport à l’année 2022. Toutefois, elle déplore le faible taux de pénétration de l’assurance qui tourne autour de 1,46%. Pour inverser la tendance, elle recommande de renforcer la communication avec un focus sur l’importance de l’assurance, sur les garanties, sans oublier de sensibiliser au maximum les populations sur les risques de défaut d’assurance. L’innovation technologique ; l’assurance des risques liés aux manifestations politiques ; l’unification des polices à l’international ; la fraude dans le secteur, sont autant de questions au menu de cet entretien.
- Mme Touré, comment se porte le marché sénégalais de l’assurance en 2023 (chiffres clés, niveau de performance, place dans l’Uemoa). Quelles sont les principales contraintes qui entravent le développement du secteur ? Y’a- t-il des défis à relever ?
Des contraintes, oui il y’a en comme dans tous les secteurs. Mais, ce sont des contraintes du métier, qui sont assez complexes en raison d’une part, de la perception culturelle sur l’assurance, d’autre part, de la particularité même de l’activité d’assurance qui est fortement réglementée. Il s’y ajoute la faiblesse des assurances obligatoires et un secteur informel de plus en plus grandissant.
Aujourd’hui, les défis à relever sont nombreux, que ce soit la modernisation, l’innovation et aussi l’appropriation des nouvelles technologies. Mais nous souhaitons, dans les années à venir, placer le marché sénégalais parmi les plus grands marchés d’assurance en Afrique, car le potentiel est là.
- Quelle est la contribution du secteur des assurances dans le développement économique du pays ?
Aussi, le marché a- t-il, accompagné les entreprises à hauteur de 82 milliards F CFA. Ces investissements énormes prennent la forme d’obligations, d’actions cotées, de participations dans des sociétés d’assurance et sociétés d’investissement, d’achat d’obligations et d’actions de sociétés commerciales, et d’investissement immobilier.
Par rapport au marché de l’emploi, notre secteur a créé plus de 3089 emplois directs et indirects, compte non tenu du personnel des métiers connexes. Tout cela, montre le rôle fondamental des assureurs en tant qu’investisseur institutionnel.
- L’assurance est un produit jugé complexe par la plupart des populations, autrement dit, l’univers de l’assurance reste assez obscur. Comment redorer l’image de marque des assureurs ? Quelles sont les stratégies à déployer pour promouvoir et redynamiser les produits d’assurance ?
Un autre constat est que les assurés n’ont pas l’habitude de lire les contrats. Or, le contrat d’assurance est un accord de volonté générateur d’obligations, c’est la loi des parties. L’autre handicap résulte du fait que l’assurance obligatoire est parfois perçue comme une contrainte pour certains et pour d’autres comme une taxe supplémentaire.
Il n’y a pas de secret, nous devons davantage communiquer sur l’importance de l’assurance, sur les garanties et sensibiliser au maximum les populations sur les risques de défaut d’assurance. L’adaptation de l’offre à nos réalités est aussi fondamentale. Autrement dit, il est important de trouver des bonnes formules, des produits attractifs et souples pour la classe moyenne, le secteur informel et pour les personnes à faible revenu.
- Le taux de pénétration du secteur de l’assurance au Sénégal reste faible. Faut-il rendre l’assurance obligatoire pour inverser la tendance ? Quelles solutions idoines à préconiser ?
Mais, il faut l’accompagnement des autorités de régulation et l’Etat pour augmenter le nombre d’assurance obligatoire. Cependant, dans le domaine de la construction, il faut le souligner, l’assemblée nationale avait voté une loi portant code de la construction en 2009 (loi n° 2009-23 du 8 juillet 2009 portant code de la construction) qui rendait obligatoire l’assurance des risques de la construction, telles que l’assurance tous risques chantiers et l’assurance responsabilité civile décennale.
Malheureusement, cette loi n’est pas toujours applicable pour défaut de signature des arrêtés ministériels, qui doivent encadrer les conditions de souscription et les modalités de contrôle de l’obligation d’assurance construction. Nous avons fait des démarches pour faire avancer ce chantier et espérons que les autorités vont suivre pour la consécration et la mise en œuvre de cette loi, afin de permettre une meilleure protection des investissements.
- L’innovation technologique (digitalisation, Intelligence Artificielle (IA) constitue actuellement un outil pour les compagnies, en amont, dans l’analyse et l’évaluation qu’elles souscrivent avec les canaux de distribution classiques (vente directe par l’assureur, agents courtiers) qui seront directement impactés par ces évolutions. En tant qu’acteur du marché, quelle lecture globale en faites-vous ?
La migration vers le digital, il faut le reconnaitre, va certainement révolutionner l’industrie des assurances au Sénégal et particulièrement la branche automobile. En plus de la lutte contre la fraude, elle va aider les compagnies d’assurance, et les intermédiaires d’assurance, à aller plus vite dans la commercialisation et la production d’attestation d’assurance automobile sous format de code QR, mais aussi d’asseoir leur crédibilité, et d’établir une relation de confiance entre assureurs et assurés. Elle facilitera sans doute la disponibilité des informations, des statistiques sur l’assurance des véhicules terrestres et le paiement rapide des sinistres.
- Certains acteurs du marché estiment que les dégâts matériels et pillages notés lors des manifestations de 2021 et 2023 sont quasiment non assurables. Quelle est votre analyse là-dessus ?
Cependant, les risques de violence politique sont exclus des couvertures traditionnelles, car ils sont considérés comme des risques systémiques pouvant fausser le bon jeu de la mutualité. A cela s’ajoute le fait que pour ces risques il y’a une carence de statistiques pour mesurer leur fréquence et probabilité. Il faut toutefois noter que, les assureurs et réassureurs de la zone Fanaf avaient mis en place depuis 2005 des clauses dites Fanaf 01-2005 et Fanaf 02, pour couvrir certains de ces risques. Dans nos polices d’assurance incendie, multirisques ou globale dommage, les assureurs se limitent à accorder les garanties prévues dans ces clauses qui sont, il faut l’avouer, très limitées et insuffisantes, car ne prenant pas en compte les risques politiques. La bonne nouvelle, c’est qu’au niveau des instances régionales (Cima, Fanaf) un projet de texte sur l’assurance des risques grèves, émeutes et mouvements populaires (Gemp) et violences politiques est en cours d’étude . Ce projet de texte, une fois adopté, pourra faire l’objet de modèle de police d’assurance risques spéciaux sur les différents marchés de la zone Cima.
- Les entreprises d’assurance sont généralement accusées à tort ou à raison de ne pas prendre trop de risques. Or, justement, avec l’exploitation des ressources pétrolières et gazières, les opérateurs économiques en général ont besoin de l’engagement des assureurs, Quelle est votre appréciation sur ce point ?
- Sur un autre registre, la mesure relative à l’unification des polices à l’international ne risque-t-il pas de compromettre la pérennité des compagnies d’assurance nationales ?
Cependant, aux termes de l’article 308 du code des assurances, seuls les assureurs localement agrées peuvent garantir des risques situés dans les pays de la zone Cima. Autrement dit, les assureurs sénégalais sont compétents pour assurer localement tous les risques situés sur le territoire. Le régulateur Cima va plus loin en interdisant la souscription d’assurance directe d’un risque situé sur le territoire d’un Etat membre auprès d’une entreprise qui n’est pas agréée au sens de l’article 326 du code Cima. Pour renforcer cette protection et lutter contre la fuite des capitaux, le régulateur limite la cession en réassurance à l’étranger à 50% et interdit toute cession à l’étranger sur les risques de masse. En ce qui concerne les risques de pointes qui dépassent nos capacités financières tels l’aviation, les corps de navire (Fpso pétroles et gaz par exemple), ils peuvent être cédés à 100% à l’étranger sous réserve de l’autorisation préalable du Ministre des Finances et du Budget. Nous pouvons donc dire que ce problème est réglé par le régulateur à travers ces alternatives.
- La fraude à l’assurance, la compensation assurancielle sont des sujets qui vous préoccupent beaucoup. Où en êtes-vous ?
Parlant de la compensation assurantielle, effectivement c’est un sujet qui nous préoccupe beaucoup. Comme vous le savez, le paiement des sinistres peut parfois être retardé par les problèmes de détermination des niveaux de responsabilités, ou de recours surtout dans les sinistres matériels en assurance automobile. En vue de faciliter l’exercice des recours inter-compagnies, nous avons mis en place, depuis l’année dernière, un système d’échange de chèques entre les compagnies d’assurance pour apurer tous les dossiers de recours qui sont en instance entre 2018 et 2022. Ce processus devrait aboutir par la mise en place d’une chambre de compensation qui sera un mécanisme de compense directe et systématique des dettes de recours inter-compagnie, à travers un dispositif de digitalisation du processus.
- Pour terminer, quels sont les autres chantiers et projets de l’Aas qui sont en cours de réalisation ?
Nous avons comme projets la mise en place d’une plateforme de centrale des risques, qui permettra aux acteurs du marché d’avoir toutes les informations sur les risques, les statistiques des sinistres. Ainsi ces données seront utiles pour faire la prévention, l’étude et l’analyse du marché. Nous sommes en phase de réflexion sur la digitalisation de la branche santé où l’on constate également beaucoup de cas de fraude dans la gestion du réseau des prestataires mais également dans la lutte contre le phénomène de l’anti-sélection.
Lejecos Magazine