Gracié en 2021, vingt ans après avoir été condamné pour l’assassinat de Laurent-Désiré Kabila, Eddy Kapend a été élevé au grade de général et nommé à la tête de la 22e région militaire dans le Katanga, dans le sud-est de la RDC. Une province stratégique à deux mois des élections.
« Félix Tshisekedi m’a libéré. J’étais mort, il m’a sauvé la vie. Du moment qu’il me donne la liberté de voir ma famille et mes proches et d’être utile un jour encore à mon pays, je lui dois mon indéfectible loyauté. » Ces mots sont ceux qu’Eddy Kapend confiait à Jeune Afrique en novembre 2021, lors de la première interview qu’il accordait après avoir passé vingt années derrière les barreaux à la prison de Makala, à Kinshasa.
Retour au Katanga
L’ex-bras droit de Laurent-Désiré Kabila, reconnu coupable – à l’issue d’un procès contesté – d’avoir participé à l’assassinat du Mzee, savourait alors en compagnie de sa famille et de son chien, Capitaine, une liberté fraîchement retrouvée. Gracié en janvier 2021 par le président congolais, Kapend, qui a toujours nié sa responsabilité dans le meurtre du 16 janvier 2001, clamait alors sa fidélité à celui qu’il n’hésitait pas à qualifier de « sauveur ».
Au milieu de quelques souvenirs et du récit de cette journée historique, l’ancien aide de camp de Laurent-Désiré Kabila n’hésitait pas à souligner qu’il se tenait prêt pour, le moment venu, occuper de nouvelles fonctions. En politique peut-être, dans l’armée si possible… Qu’importe, tant qu’il pouvait revenir au Katanga.
Eddy Kapend s’apprête à retrouver les deux : l’uniforme militaire et sa province natale. Élevé « à titre exceptionnel » au grade de général de brigade par une ordonnance lue à la télévision nationale le 19 octobre, il a été affecté à la tête de la 22e région militaire dans le Haut-Katanga. Il succède ainsi au général Smith Gihanga Mutara, arrêté fin août pour son implication supposée dans un trafic de minerais, il sera désormais basé à Lubumbashi.
« Restez toujours fidèle à votre mission »
Inattendue, tant l’ancien bras droit du Mzee se montrait discret depuis sa sortie de prison, cette nomination est symbolique à plus d’un titre. Elle intervient tout d’abord deux mois jour pour jour avant les élections générales, qui se préparent dans un climat tendu. Félix Tshisekedi, qui a aussi promu d’autres généraux le 19 octobre, élevant notamment son chef d’état-major au grade de général des armées, avait reçu les officiers des FARDC la veille pour un dîner à la présidence. Au cours de cette rencontre, le chef de l’État avait appelé les militaires à « rester toujours fidèles à [leur] mission ». « Le gouvernement mettra tous les moyens pour vous honorer pendant et après votre carrière », avait-il ajouté.
Le timing de cet appel à la loyauté n’est pas anodin. Une semaine plus tôt, c’est un autre haut gradé de l’armée congolaise qui a fait parler de lui : le général John Numbi, exilé au Zimbabwe depuis 2021. Ce dernier a publié un long message vidéo le 9 octobre dans lequel il a appelé à « barrer la route » de Félix Tshisekedi, accusé d’être un « inconscient qui joue avec le feu dans une poudrière. »
Reprochant au chef de l’État d’avoir renié ses engagements auprès de son prédécesseur Joseph Kabila, John Numbi a aussi appelé les militaires à l’insubordination. « L’armée et la police ainsi que toutes les forces de sécurité de la nation ne sont plus liées au devoir d’obéir dès lors que le commandant suprême est devenu un danger par son immaturité », a-t-il expliqué.
Le cas Numbi
Les autorités ont été promptes à relativiser la menace, mais le cas Numbi agite la présidence. L’entourage de Félix Tshisekedi soupçonne depuis plusieurs mois l’ancien chef de la police congolaise de vouloir déstabiliser le régime. Le président et ses émissaires ont à plusieurs reprises tenté d’obtenir l’extradition de cet homme soupçonné d’avoir commandité le meurtre, en juin 2010, des activistes Floribert Chebeya et Fidèle Bazana. En vain. Elles cherchent aujourd’hui à s’appuyer sur les éléments apparus lors d’une procédure en cours en Belgique contre l’homme d’affaires Thierry Lakhanisky – ce dernier est soupçonné d’avoir entretenu des liens avec Numbi en rapport avec un supposé projet de coup d’État au Katanga, le fief de Kabila.
C’est dans ce contexte qu’intervient la nomination de Kapend. Est-ce, pour le chef de l’État, un moyen de s’assurer un relai de confiance dans une province sensible ? Avant de devenir le détenu le plus célèbre du Congo, Eddy Kapend était l’un des militaires les plus influents de l’armée de Laurent-Désiré Kabila et disposait d’un solide réseau dans cette partie du pays. Il est lui-même natif de Kapanga, dans ce qui est aujourd’hui le Lualaba.
De Mobutu au Mzee
Eddy Kapend a par ailleurs très bien connu Numbi. Les deux hommes se sont rencontrés dans les années 1980, à l’époque où le second étudiait à l’Institut technique supérieur de Likasi, près de Lubumbashi. Leurs routes se croisent à plusieurs reprises au cours des années suivantes. Brièvement formé en Angola auprès des anciens « tigres » – les gendarmes du Katanga de Moïse Tshombe – Kapend avait été intégré au sein des Forces armées du Zaïre, avec le grade de major, et affecté au sein de la garde civile au Katanga au début des années 1990.
À cette époque, Numbi est un féroce militant de la Jeunesse de l’Union des fédéralistes et républicains indépendants, le parti de Kyungu wa Kumwanza. Arrêté et emprisonné en 1996, il ne retrouvera Kapend qu’après la chute de Mobutu et l’arrivée au pouvoir de Laurent-Désiré Kabila, que Kapend a rejoint au sein de l’Alliance des forces démocratiques de libération du Congo (AFDL). Après la prise de pouvoir du Mzee, Numbi a été nommé directeur des communications. Kapend est devenu son adjoint, avant d’être nommé, quelques mois plus tard, aide de camp du chef de l’État.
Katumbi et Kabila
Scruté de près par le pouvoir, le Katanga est aussi le fief de deux des plus farouches adversaires de Tshisekedi : Moïse Katumbi et Joseph Kabila, fils du défunt président. En mai 2022, lors de l’une de ses rares prises de parole publique, l’ancien colonel avait critiqué la tenue d’un forum de réconciliation organisé sous l’égide de l’archevêque de Lubumbashi – il avait permis les retrouvailles, scellées par une poignée de main, de Katumbi et Kabila après huit ans de brouille.
L’ancien gouverneur du Katanga est aujourd’hui l’un des 24 candidats à l’élection présidentielle retenus dans la liste provisoire de la commission électorale. Il fait figure de poids lourd dans l’opposition. Kabila, lui, a pris ses quartiers à Lubumbashi depuis la fin de juin. Il y observe depuis un silence qui intrigue au sommet de l’État.
Jeune Afrique