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« Je mourrai capitaine » : les dessous du duel entre Moussa Dadis Camara et Sékouba Konaté

« Je mourrai capitaine » : les dessous du duel entre Moussa Dadis Camara et Sékouba Konaté


La rivalité entre Moussa Dadis Camara et Sékouba Konaté continue de hanter la mémoire politique et militaire de la Guinée. Deux frères d’armes devenus adversaires silencieux, unis un temps par le coup d’État de décembre 2008, mais séparés ensuite par les blessures, les ambitions et l’orgueil.

Le grade qui a tout déclenché
Nous sommes au début du mois d’août 2010. Le général d’armée Sékouba Konaté, alors à la tête de la transition guinéenne, propose à son ancien compagnon d’armes, le capitaine Moussa Dadis Camara, en convalescence au Burkina Faso, d’être élevé au rang de général d’armée “à titre exceptionnel”.
Une manière, pensait-il, d’honorer celui qui, malgré sa chute, restait pour beaucoup l’homme fort du Conseil national pour la démocratie et le développement (CNDD).

Mais à la surprise générale, Dadis décline l’offre. Une décision perçue comme un affront par “El Tigre”, son surnom de soldat.
Selon plusieurs proches, Sékouba Konaté y aurait vu une marque de rancune et de désaveu personnel. Ce refus aurait durablement refroidi leurs rapports, déjà fragiles depuis les événements tragiques du 28 septembre 2009 et les dissensions internes au CNDD.

“Je mourrai capitaine” : la promesse de Dadis
Dès ses premiers jours à la tête du pays, Moussa Dadis Camara répétait à ses collaborateurs qu’il ne voulait pas changer de grade.

« C’est moi qui signe tous les décrets. Je peux même me bombarder maréchal si je veux, personne ne trouvera à redire. Je suis le commandant en chef des forces armées guinéennes, non ! Mais, je préfère garder ce grade de capitaine jusque dans la tombe »,
aurait-il déclaré, dans une formule restée célèbre au sein de l’armée guinéenne.

Ce refus d’évoluer dans la hiérarchie militaire, malgré le pouvoir absolu qu’il détenait alors, symbolisait pour lui une forme de fidélité à ses origines de soldat — un homme de caserne, attaché à la simplicité de son grade, mais aussi à l’idée qu’il s’était fait de sa légitimité.

Fidélité ou orgueil ?
Pour certains observateurs, cette posture était celle d’un homme convaincu que le grade de capitaine incarnait mieux son image : celle d’un chef proche de la troupe, populaire, indiscipliné, mais profondément militaire.
Pour d’autres, ce refus n’était qu’une manifestation d’orgueil, une manière de rappeler à son rival Sékouba qu’il n’avait pas besoin d’un galon supplémentaire pour asseoir son autorité.

Des confidences qui lèvent le voile sur leur relation
L’ancien chef d’état-major général des forces armées (CEMGA), le général de brigade à la retraite Oumar Sanoh, a apporté un éclairage inédit sur la relation entre les deux hommes lors de son témoignage devant le tribunal criminel de Dixinn, le mercredi 15 novembre 2023.

Selon lui, le capitaine Dadis Camara et le général Sékouba Konaté partageaient toutes les parcelles du pouvoir au sommet de l’État.

« J’ai vu des choses qui m’ont sidéré. Au début, quand on envoyait le repas pour le capitaine Dadis, on le posait sur sa table, c’est le général Sékouba Konaté qui prenait la cuillère d’abord, il mangeait avant de laisser les autres manger. J’ai vu cela de mes propres yeux et beaucoup peuvent le témoigner »,
a-t-il déclaré à la barre.

Interrogé sur la capacité du ministre de la Défense nationale, Sékouba Konaté, à prendre des décisions sans consulter le capitaine Dadis Camara, l’ex-CEMGA est resté prudent :

« Je ne veux pas tellement commenter cela. Il arrivait des fois qu’il se déplace les nuits pour aller rester chez Konaté jusqu’à tardivement »,
a-t-il révélé.

Pressé par le président du tribunal, Ibrahima Sory 2 Tounkara, pour dire si le général Konaté pouvait agir sans l’accord du chef de la junte, le général Sanoh a maintenu sa position :

« Personnellement, je les voyais toujours ensemble. Prendre une décision sans le consulter, je n’ai pas constaté cela. Parce qu’ils partageaient les choses ensemble. »

Ces révélations viennent confirmer ce que de nombreux témoins de l’époque soupçonnaient déjà : malgré les tensions et les rivalités ultérieures, Dadis et Konaté ont longtemps gouverné main dans la main, unis par la même logique de pouvoir, mais séparés par l’ombre grandissante de la méfiance.

Une rivalité qui a marqué l’histoire récente
Le “duel invisible” entre Dadis Camara et Sékouba Konaté restera comme l’un des épisodes les plus marquants de l’histoire récente de l’armée guinéenne.
Deux hommes, deux destins : l’un blessé et contraint à l’exil, l’autre devenu général puis président de transition, avant de s’effacer à son tour.

Mais une phrase, prononcée sur le ton de la défiance, continue de résonner comme un symbole :

« Je mourrai capitaine. »

Un serment à la fois de fidélité et de fierté, reflet d’une époque où les galons pesaient moins que les convictions… mais où la fraternité d’armes s’était déjà brisée.


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