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Réforme de la gestion publique : Pour une rationalisation durable du patrimoine de l’État (Par El Hadji Diaydi Bâ Cissé, juriste spécialiste de la Gouvernance publique et de la réforme de l’Etat)

Réforme de la gestion publique : Pour une rationalisation durable du patrimoine de l’État  (Par El Hadji Diaydi Bâ Cissé, juriste spécialiste de la Gouvernance publique et de la réforme de l’Etat)

Au moment où le Premier ministre Ousmane Sonko engage courageusement une réforme visant à mettre fin au cumul d’avantages et de privilèges dans l’administration, il convient d’élargir le débat pour consolider cette dynamique vertueuse.

Cette décision traduit une volonté forte de moraliser la gestion publique. Mais pour qu’elle produise un impact durable, elle doit s’accompagner d’une réforme plus profonde : celle de la comptabilité des matières et de la gestion patrimoniale de l’État.

C’est dans cet esprit d’appui à la réforme que je souhaite partager quelques constats et propositions, issus de mes travaux sur la rationalisation des biens publics.

Le cœur du problème : un patrimoine public mal connu, mal suivi

Depuis plusieurs années, la comptabilité des matières – qui permet à l’État de savoir ce qu’il possède, où et entre quelles mains – demeure incomplète et souvent non appliquée.
Les textes existent pourtant : le décret n°2018-842 sur la modernisation de la comptabilité des matières prévoit la création d’un Comptable centralisateur des matières, chargé de coordonner l’ensemble des données patrimoniales.

Mais faute de mise en œuvre effective, les administrations peinent à établir des inventaires fiables, à suivre leurs stocks, leurs véhicules, et leurs immobilisations. Cette faille n’est pas seulement administrative : elle fragilise la transparence budgétaire et entretient des zones d’ombre dans la reddition des comptes publics.

Les obligations communautaires rappelées : UEMOA, Cour des comptes et Traité

L’article 69 du Traité de l’UEMOA impose aux États membres d’assurer une traçabilité patrimoniale complète et un contrôle régulier des biens publics par les Cours des comptes.
Cette disposition vise à garantir que chaque État puisse mesurer non seulement ses dépenses, mais aussi la valeur de son actif national.

Le Sénégal, tout en ayant transposé plusieurs décrets, tarde encore à mettre en place les outils opérationnels qui permettent ce contrôle. Le cas emblématique du parc automobile de l’État

Le décret 2021-03 sur les véhicules administratifs illustre bien les limites du système actuel : malgré les textes, les dérives persistent. Les catégories de véhicules (fonction, service, nécessité) sont définies, mais sans traçabilité numérique, ni base de données centralisée, ces distinctions restent théoriques.
Résultat : des coûts d’entretien élevés, un gaspillage latent, et une image de l’État parfois décriée.

Des propositions concrètes pour accompagner la réforme gouvernementale Dans un esprit de coopération institutionnelle et non de critique, plusieurs mesures peuvent être envisagées à court et moyen terme :

1. Nomination urgente du Comptable centralisateur des matières, conformément au décret 2018-842 ;
2. Création d’un corps autonome des comptables des matières, formés et encadrés par le PASGEM;
3. Centralisation et mutualisation des achats publics, pour une traçabilité budgétaire complète ;
4. Audit patrimonial annuel dans chaque ministère, avec publication des inventaires ;
5. Formation des gestionnaires publics à la gestion matérielle et au contrôle interne.

Ces mesures ne demandent pas de nouveaux moyens, mais une volonté de coordination et d’application des textes existants.

Une réforme de justice avant d’être une réforme de coûts

La lutte contre le gaspillage ne doit pas être une simple opération de communication.
Elle doit s’inscrire dans une logique de justice administrative : l’État doit savoir ce qu’il possède avant de savoir ce qu’il dépense.

En cela, la circulaire du Premier ministre constitue une première étape essentielle.
Mais pour que cette dynamique soit pérenne, elle doit s’étendre à la gouvernance patrimoniale, à la traçabilité des biens et à la reddition des comptes matériels.

Conclusion : pour une gouvernance publique structurée et cohérente
Le Sénégal dispose de toutes les bases juridiques pour une gestion exemplaire de ses ressources.
Il manque simplement une mise en cohérence entre la réforme morale initiée par le Premier ministre et la réforme structurelle que la modernisation des finances publiques appelle.

C’est à ce chantier que je consacre mes réflexions : non pour critiquer, mais pour soutenir une gouvernance publique fondée sur la transparence, l’efficacité et la responsabilité.
« Réformer l’État, c’est d’abord lui permettre de se connaître lui-même. »

El Hadji Diaydi Bâ Cissé,
juriste spécialiste de la Gouvernance publique et de la réforme de l’Etat


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