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Les «vapoteuses zombies», la nouvelle drogue qui intoxique la jeunesse…

Les «vapoteuses zombies», la nouvelle drogue qui intoxique la jeunesse…

Consommée par vapotage, une drogue de synthèse à base d’étomidate se propage à grande vitesse parmi la jeunesse asiatique. Derrière ce surnom se cache une crise de santé publique majeure, qui pousse les autorités d’Hong Kong à Singapour, du Japon à la Malaisie, à multiplier les mesures d’urgence pour contenir le phénomène.

Dans les clubs d’Okinawa, dans les rues d’Hong Kong ou dans les lycées de Singapour, une nouvelle drogue s’installe dans le quotidien des jeunes. Ni poudre, ni pilule, il s’agit d’un simple liquide coloré pour cigarette électronique, aux arômes fruités. Mais derrière des noms comme « space oil », «piao piao» ou « kpods », se cache un puissant anesthésique médical : l’étomidate. Jusque-là cantonné au bloc opératoire pour sédater les patients, il s’est métamorphosé en drogue festive et insidieuse, dont le mode de consommation le rend difficile à détecter. 

La substance est ajoutée aux liquides des e-cigarettes, parfois mélangée avec du cannabis, de la kétamine ou d’autres substances illicites. Et bien souvent, le danger se cache derrière une apparente banalité. « J’ai d’abord cru que je ne faisais que vapoter. C’est après coup que j’ai appris que ça s’appelait « space oil » », confie Chris, 19 ans, au Straits Times. Séduits par le marketing pop des cartouches aromatisées ou par les promesses de sensations fortes, beaucoup de jeunes ignorent ce qu’ils consomment réellement. « Les jeunes ne réalisent même pas ce qu’ils fument, jusqu’à ce qu’il soit trop tard », résume Teo Yik Ying, doyenne de la Saw Swee Hock School of Public Health à l’Université nationale de Singapour. 

Stupeur et tremblements
Les effets, eux, sont brutaux. « J’ai ressenti des vertiges, mon corps est devenu lourd, je tremblais, j’avais du mal à parler », se souvient une jeune femme hospitalisée à Okinawa après une seule bouffée, dans le Japan Times. Convulsions, crises de panique, pertes de connaissance, insuffisance respiratoire, comportements erratiques, difficultés à s’exprimer… Le commissaire aux stupéfiants d’Hong Kong, Kesson Lee, note que « les consommateurs développent des symptômes qui ressemblent à ceux d’un zombie : convulsions, perte de contrôle du corps, confusion mentale… Ils risquent souvent de tomber et d’avoir des ecchymoses visibles ». 

Face à la nature de ces effets spectaculaires et délétères, le mélange toxique a vite gagné d’autres surnoms bien moins engageants : « cigarettes zombies », « vapoteuses zombies » ou « jus de zombie». « Nos campagnes présentent désormais les consommateurs d’étomidate comme des zombies pour mieux faire comprendre la gravité des risques », souligne Kesson Lee. Et comme dans les films d’horreur, la propagation du mal est extrêmement rapide. « Lorsqu’un jeune achète de la drogue, le dealer le convainc ensuite d’en acheter davantage et de la partager avec ses amis et ses camarades de classe. Certains jeunes peuvent obtenir de la drogue gratuitement auprès de leurs amis avant de vraiment en acheter », explique le commissaire aux stupéfiants. 

Le phénomène touche avant tout les jeunes, avec une accessibilité facilitée par les réseaux sociaux (Instagram, WhastApp, Telegram), le bouche-à-oreille et renforcée par la désinformation. À Singapour, 82% des utilisateurs de vapoteuses ont entre 15 et 35 ans, tandis qu’à Hong Kong, 211 des 338 cas d’abus d’étomidate enregistrés au premier semestre 2025 concernaient des moins de 21 ans. À Taïwan, le plus jeune cas recensé avait à peine 13 ans. La croyance que l’étomidate, utilisé à l’hôpital, serait sans danger, favorise sa consommation. 

« Beaucoup de jeunes pensent que ce n’est pas une drogue, que c’est un médicament utilisé pour sauver des vies », explique Wilson Tan, directeur du Youth Guidance Outreach Services à Singapour à la Channel News Asia.  Les dealers exploitent cette ambiguïté, vendant parfois le produit comme du « gaz hilarant » ou en insistant sur le fait qu’il n’est pas détectable lors des contrôles. Un vendeur malaisien interrogé par CNA admet ne pas savoir ce que contiennent vraiment les kpods qu’il écoule : « Je me fie à ce que dit mon fournisseur, mais je ne sais pas ce qu’il y a dedans. »

Un fléau régional
Le phénomène est une source d’inquiétude croissante parmi les autorités sanitaires de toute l’Asie. À Hong Kong, le « space oil » a été classé substance dangereuse en février 2025, avec des peines allant jusqu’à sept ans de prison pour usage et la perpétuité pour trafic. La police a multiplié les saisies – 250 000 cartouches confisquées sur six mois – et lancé des campagnes de prévention choc, associant la drogue à l’image du zombie pour casser son attrait. Les autorités ont aussi choisi de renommer officiellement la drogue, afin de briser son aura mystérieuse.

Bien que les cigarettes électroniques soient déjà interdites depuis 2018, Singapour a décidé de renforcer sa lutte depuis le 1er septembre avec les liquides modifiés en ligne de mire. Les sanctions vont des amendes à la flagellation, en passant part de lourdes peines de prison. En septembre 2025, un homme a été le premier jugé pour possession et consommation de capsules d’étomidate. Le Premier ministre Lawrence Wong a averti : « Les vapoteuses ne sont qu’un vecteur. Aujourd’hui, c’est l’étomidate, demain, ce sera peut-être pire ». L’autorité sanitaire a aussi mené des analyses montrant qu’une vapoteuse sur trois contiendrait de l’étomidate.

Au Japon, l’étomidate a été interdit en mai 2025, après une vague d’hospitalisations à Okinawa et plusieurs arrestations pour possession. Le « jus de zombi » s’est répandu dans le sud du pays en raison de sa proximité avec le sud du continent. « On doit éviter que cela ne se répande sur l’archipel », met en garde un responsable de la police dans le Japan Times. Les autorités ont également mené des campagnes d’information, demandé aux établissements nocturnes de bannir les consommateurs, et renforcé la coopération avec la police et les douanes pour remonter les filières criminelles.

En Thaïlande, le gouvernement a multiplié les saisies de « cigarettes zombies » et les avertissements publics, notamment auprès des familles. Les autorités recommandent aux parents de surveiller des signes inhabituels chez leurs enfants, comme l’isolement ou la somnolence excessive. Selon Anukul Prueksanusak, porte-parole du Premier ministre, « il n’y a aucun moyen de savoir ce qui est mélangé ni en quelle quantité ». Les campagnes de prévention ciblent aussi les écoles, et la police utilise désormais des tests rapides pour identifier les cas d’abus.

À Taïwan, le phénomène a explosé : le nombre de cas est passé de 22 à plus de 1 280 en un an. Jeunes et adolescents sont particulièrement touchés, avec des incidents graves, dont des délits de fuite mortels. Le gouvernement taïwanais a durci la loi tout en misant sur l’accompagnement et la prise en charge des jeunes usagers, avec des politiques de traitement et de poursuite différée pour limiter la récidive, des cellules de soutien en milieu scolaire et la formation de travailleurs sociaux.

La Malaisie n’est pas en reste. Ces derniers mois, plusieurs arrestations ont eu lieu pour trafic et vente de vapoteuses dopées à des drogues. La police malaisienne a démantelé des réseaux transfrontaliers impliquant aussi des ressortissants singapouriens, et enregistré une nette hausse des saisies de vapes contenant des substances illicites. Le ministère de la Santé malaisien a annoncé la création de laboratoires spécialisés pour mieux détecter les drogues de synthèse dans les produits de vapotage, et le gouvernement envisage de renforcer encore la législation. 

Répression, coopération et prévention
La réponse régionale s’organise donc, alliant répression, prévention et coopération internationale. Partout, le durcissement législatif a été la première étape : l’étomidate et ses analogues sont désormais classés parmi les substances les plus dangereuses dans de nombreux pays, avec des peines allant jusqu’à la perpétuité pour trafic et des années de prison pour simple usage. 

Campagnes de prévention massives, interventions dans les écoles, messages chocs sur les réseaux sociaux et dans l’espace public visent également à briser l’image faussement « cool » du produit et à sensibiliser sur ses dangers. La coopération régionale s’est aussi renforcée avec des échanges d’informations entre polices et douanes, opérations conjointes et surveillance accrue des frontières. L’ONUDC appuie ces efforts en coordonnant les alertes précoces et en fournissant des recommandations techniques pour la détection en laboratoire des nouveaux analogues.

Les experts interrogés par The Diplomat préconisent des traitements et des suivis des clients sur le long terme. Ces derniers partagent généralement des traits communs, comme des traumatismes non résolus, une détresse émotionnelle et des schémas intergénérationnels de consommation de substances. Pour nombre de jeunes, « c’est un soulagement, une échappatoire et un réconfort », pointe le psychothérapeute Gopal Mahey. « Tant que l’apaisement personnel par le biais de substances restera la solution la plus facile, de nouvelles formes de vapoteuses contenant des drogues continueront d’apparaître. » 

Un secteur qui s’adapte et progresse
Face à la capacité d’adaptation du marché noir et à la viralité du phénomène en ligne, la lutte reste un défi de chaque instant. L’ampleur du phénomène, la difficulté à distinguer ces e-liquides des produits légaux et l’imprévisibilité de leur composition rendent la crise particulièrement redoutable. L’ONUDC souligne a rapidité d’innovation des trafiquants, capables de créer de nouveaux analogues chimiques pour contourner la loi, et met en garde contre la banalisation du phénomène, notamment chez les adolescents.

Dès 2021, l’étomidate a été repéré dans des e-liquides sur le marché noir chinois ; chaque fois que les autorités renforcent la législation, de nouveaux analogues chimiques apparaissent. La Chine a ainsi classé l’étomidate comme stupéfiant en 2023, puis étendu la réglementation à des substances dérivées en 2024, mais sans enrayer la multiplication des formules de contournement. 

« Son apparition s’inscrit dans le cadre plus large de la diversification du commerce des drogues synthétiques », explique Benedikt Hoffman, représentant de l’ONUDC pour l’Asie du Sud-Est et le Pacifique. « La méthamphétamine reste la drogue dominante, mais les groupes criminels se sont mis à chercher des alternatives, à mesure que la pression des forces de l’ordre sur les filières de trafic de méthamphétamine s’intensifiait. » Dans ce contexte, les « vapoteuses zombies » sont les dernières inventions mortifères d’un secteur en constante mutation. 


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