À parcourir les manchettes, on croirait la LONASE métamorphosée en un vaste casino politique où chaque dépense – qu’il s’agisse d’une colonie de vacances, d’un contrat de communication ou d’une nomination – sert de prétexte à un procès expéditif contre son directeur général, Toussaint Manga. Les chiffres lancés à la volée, les accusations sans procédure et les indignations orchestrées composent un spectacle familier : celui d’une #gouvernance jugée non pas à ses résultats, mais à l’intensité des polémiques. Or, le vacarme n’est pas un audit.
1. Entre symbole et soupçon : la fabrique des polémiques
La controverse autour de la LONASE s’est cristallisée sur une dépense de 193 millions de FCFA destinée à organiser une colonie de vacances. Le chiffre impressionne. Il choque même dans un pays où la pauvreté quotidienne nourrit une sensibilité extrême aux inégalités. Mais ce chiffre, isolé de son contexte, est instrumentalisé comme un symbole. Or, il faut rappeler que cette colonie n’est pas une faveur improvisée : elle est inscrite dans les accords collectifs et constitue un acquis social de longue date. Son coût, ramené au budget global, reste marginal, et surtout il contribue à un objectif Ressource humaine (RH) connu : la fidélisation du personnel et la stabilité sociale dans l’entreprise.
Cela ne veut pas dire qu’il faille nier le choc symbolique que provoque ce montant. Oui, dans une société marquée par de profondes inégalités, toute dépense sociale de ce type doit être expliquée, contextualisée et assumée publiquement. Mais ce n’est pas en supprimant ce type de prestation que l’on corrige les déséquilibres structurels ; c’est en améliorant la transparence et en donnant aux citoyens les ratios clairs qui permettent de juger en connaissance de cause.
Le même mécanisme de dramatisation s’applique aux conventions de communication. Dans l’opinion, les 100 millions engagés avec le Groupe Futurs Médias nourrissent immédiatement le soupçon de clientélisme. Pourtant, la communication est un poste stratégique dans le secteur des jeux. Les loteries nationales du Nigéria, du Maroc ou de la Côte d’Ivoire consacrent des budgets bien plus importants à leur visibilité, parfois plusieurs milliards par an. La vraie question n’est pas de savoir si la LONASE communique, mais si elle le fait selon des règles strictes et mesurables : appels d’offres, barèmes transparents, livrables vérifiables. Dans le cas présent, le contrat a été signé le 21 mai 2025 et résilié le 29 août 2025 dès que sa clause restrictive a été jugée problématique, preuve qu’un correctif a été apporté. Autrement dit : la faille a été identifiée, et la réponse a été immédiate.
2. Quand la politique brouille l’évaluation
Les attaques n’ont pas surgi par hasard. Elles s’inscrivent dans un contexte de recomposition politique où les entreprises publiques deviennent des terrains de confrontation. La LONASE, comme la #SENELEC ou #AirSénégal avant elle, est prise dans ce brouillard : ses performances économiques passent au second plan, ses dépenses symboliques deviennent des armes de polémique. Le timing des critiques est révélateur. Toutes surgissent en même temps, relayées par les réseaux sociaux, puis reprises par certains médias. Le procédé est classique : isoler deux ou trois dépenses visibles, les grossir et les présenter comme emblématiques d’une gestion corrompue. La colonie de vacances et le contrat GFM sont devenus les « totems » d’une indignation politique. Mais où sont les ratios, où sont les audits indépendants, où sont les comparaisons sectorielles ? Elles brillent par leur absence.
Ce brouillage est périlleux, car il détourne le débat de son véritable objet. On ne parle plus de la performance tangible d’une entreprise publique – alors même que la LONASE enregistre 11 milliards de bénéfices et plus de 1 000 emplois recréés après le retrait de Premier Bet – mais de perceptions tapageuses, de symboles brandis à la hâte et de scandales fabriqués pour l’occasion. Une telle substitution n’est pas anodine. Elle installe dans l’imaginaire collectif l’idée que l’on juge une gestion au bruit qu’elle génère, et non à la solidité des résultats qu’elle produit.
Or, critiquer la dépense publique n’est pas seulement légitime; elle est nécessaire. C’est même l’un des piliers du contrôle citoyen en démocratie. Mais cette critique doit s’appuyer sur des fondations solides : des données exhaustives, des indicateurs objectivement vérifiables, des comparaisons rigoureuses avec d’autres entreprises publiques ou privées du même secteur. Autrement dit, il ne s’agit pas de hausser le ton, mais de démontrer avec méthode et rigueur. Faute de quoi, on ne fabrique que des indignations éphémères : bruyantes mais vite dissipées, spectaculaires mais creuses. Loin d’améliorer la gouvernance, elles fragilisent les institutions en confondant la transparence avec le scandale et la redevabilité avec le lynchage médiatique. Ainsi, la République se prive d’un débat sérieux sur la qualité de la gestion, pour céder la place à une arène où triomphent l’émotion et la rumeur. Car, au fond, gouverner ne se mesure pas à l’intensité des passions, mais à la rigueur des chiffres vérifiés.
Évaluer une entreprise publique, c’est appliquer une grille claire. Cinq tests suffisent : la régularité des procédures, la matérialité des dépenses, la performance mesurée par des indicateurs sectoriels, la redevabilité par la publication proactive des contrats, et l’éthique comme garde-fou contre la politisation. Voilà la base d’une gouvernance moderne.
Encore faut-il assumer la part de vulnérabilité. Oui, les entreprises publiques sont exposées au risque de clientélisme. Oui, le soupçon est légitime quand les contrats sont opaques. Mais ce risque doit être encadré par des mécanismes institutionnels, pas instrumentalisé pour abattre des gestionnaires. Une gouvernance adulte implique la publication trimestrielle des contrats supérieurs à 25 millions, la mise en open data des budgets, un comité d’audit indépendant et un benchmark régulier avec d’autres loteries africaines. Voilà les réformes concrètes qui permettraient de couper court à la suspicion.
Conclusion
La question dépasse la personne de Toussaint Manga. Elle met en lumière notre faiblesse collective : au Sénégal, nous confondons encore trop souvent gouvernance et vacarme. On croit moraliser en s’indignant ; on croit sanctionner en dénonçant. Mais gouverner n’est pas une bataille de slogans, c’est une affaire de chiffres, de règles et de livrables. La rue peut crier, c’est son droit. Mais l’État doit prouver, auditer et mesurer. Car une vérité simple demeure : le vacarme n’est pas un audit. Et tant que nous n’aurons pas les chiffres et les procédures, nous resterons prisonniers des passions au lieu de progresser vers la bonne gestion.
Dr Akila Bodian
Institut Fondamental d’Afrique Noire Cheikh Anta DIOP
Université Cheikh Anta Diop de Dakar