À Pékin, la Chine célèbre en grande pompe les 80 ans de la capitulation du Japon à l’issue de la Seconde Guerre mondiale. Un défilé militaire géant se tient, mercredi 3 septembre, sur la place Tiananmen, en présence de plusieurs dirigeants étrangers, dont Vladimir Poutine et Kim Jong-un. La parade est inaccessible au public, avec une mise en scène taillée pour la télévision et les caméras étrangères.
Sur les écrans géants autour de la place Tiananmen, mercredi 3 septembre, des symboles de paix érigés de part et d’autre, mais aussi des milliers de drapeaux chinois rouges distribués à la foule, brandis, dès que possible, telle une vague d’ovation à la gloire de la nation chinoise.
Pour cet immense parade, le pouvoir chinois mise sur la solennité et le spectacle : chars, avions et missiles défilent, sur la place Tiananmen. M. Xi, debout dans sa voiture à toit ouvrant descendant l’avenue de la Paix éternelle, passe les troupes en revue en répondant à leur salut martial, rapporte notre correspondante à Pékin, Clea Broadhurst. « La renaissance de la nation chinoise est inarrêtable et la noble cause de la paix et du développement de l’humanité triomphera assurément », a-t-il proclamé dans un discours.
Dans les tribunes, l’image est déjà écrite : le président chinois entouré de Vladimir Poutine et de Kim Jong-un. Une première apparition publique commune qui incarne, selon plusieurs analystes, un « axe des autocraties » face à l’Occident. Une photo très calibrée, destinée à frapper les esprits.
Sur le plan intérieur, l’événement est aussi scruté comme un test politique. Depuis 2015, Xi Jinping a resserré son emprise sur le Parti communiste et l’armée de Chine. Toute absence remarquée parmi les hauts gradés, en particulier des généraux soupçonnés de corruption, sera interprétée comme un signe de purge.
Des radars exposés lors du défilé militaire marquant le 80e anniversaire de la victoire sur le Japon et la fin de la Seconde Guerre mondiale, sur la place Tiananmen à Pékin, le 3 septembre 2025.
Des radars exposés lors du défilé militaire marquant le 80e anniversaire de la victoire sur le Japon et la fin de la Seconde Guerre mondiale, sur la place Tiananmen à Pékin, le 3 septembre 2025. © GREG BAKER / AFP
Une armée en devenir
La parade, présentée comme une véritable démonstration de force, mobilise 100 000 soldats sur l’avenue Chang’an, surnommée les « Champs-Élysées de Pékin ». L’arsenal présenté est impressionnant : missiles balistiques intercontinentaux, missiles antinavires, avions furtifs J-20, drones en grand nombre. Le porte-avions Fujian pourrait même être officiellement mis en service, symbole d’une marine qui, depuis 2020, a dépassé la flotte américaine en nombre de navires. Pékin devrait également dévoiler ses nouveaux missiles Ying Ji, capables de cibler les porte-avions américains autour de Taïwan – un message sans équivoque adressé à Washington et à ses alliés.
Mais gare aux illusions d’optique. Si l’Armée populaire de libération (APL) a connu en vingt ans une modernisation spectaculaire, elle n’a pas combattu depuis plus de quarante ans et n’a donc encore jamais démontré sa valeur à l’épreuve du feu. Par ailleurs, si elle réduit progressivement l’écart avec les États-Unis dans l’espace et dans les airs, la Chine reste encore loin derrière en mer : sa flotte de sous-marins repose en grande partie sur des modèles diesel bruyants et obsolètes.
Et les armements ne font pas tout, la qualité de l’encadrement reste la clé de voûte d’une armée aguerrie. Les experts militaires s’interrogent sur la valeur de la chaîne de commandement de chinoise. En 2024, deux ministres de la Défense sont tombés coup sur coup, victimes de purges et de campagnes anticorruption.
L’épopée de la « résistance » mise en scène
Enfin, place à l’histoire officielle : le récit glorifiera le rôle du Parti communiste dans la défaite du Japon. Musiciens et chorégraphie géante mettront en scène l’épopée de la « résistance » : un spectacle pensé pour impressionner à la fois la population chinoise et les partenaires du régime.
La fanfare militaire comptera 80 clairons symbolisant les années écoulées depuis 1945, selon la télévision d’État CCTV. La présence de quatorze formations de musiciens symbolisera le nombre d’années de guerre, conformément à l’histoire officielle du Parti communiste chinois qui fait démarrer le conflit en 1931.
Une télévision dans une petite boutique de Hong Kong diffusant le discours du président chinois Xi Jinping lors du défilé militaire marquant le 80e anniversaire de la victoire sur le Japon et la fin de la Seconde Guerre mondiale, sur la place Tiananmen à Pékin, le 3 septembre 2025.
Les spectateurs de la place Tiananmen seront assis sur des chaises vertes, rouges et dorées, symbolisant respectivement la terre, le sang versé par le peuple et la paix, selon CCTV. Mais pour la plupart des Chinois, c’est devant la télévision que s’est vécue la parade. Certains se sont retrouvés dans une petite laverie du centre de Pékin, transformée le temps d’un matin en salle de projection improvisée, comme constate notre correspondante Clea Broadhurst.
« C’est extrêmement important, ce n’est que lorsque le pays est fort que le peuple peut vivre en paix, exprime avec fierté un vétéran au visage marqué. Un défilé militaire n’est pas seulement un spectacle pour le public : il rassure les citoyens ordinaires et inspire la jeune génération à poursuivre notre mission et à construire un pays encore meilleur. En tant qu’ancien combattant, j’éprouve une fierté sincère du fond du cœur. »
À ses côtés, une femme âgée se tient droite sur sa chaise. Elle se sent rassurée devant ce spectacle : « Je pense que cela montre au monde entier que la Chine est désormais forte, que nous sommes très unis et que notre armée est puissante. Mais cela ne signifie pas que nous voulons faire la guerre, c’est pour que tout le monde sache que nous pouvons nous protéger et que nous n’avons pas peur d’être intimidés. »
Et la jeune génération, elle aussi, se projette dans ce défilé. « J’ai trouvé cela assez impressionnant, surtout en voyant toutes ces formations bien organisées et ces équipements sophistiqués. Cela m’a donné le sentiment d’avoir une mission, comme si, moi aussi, je devais apporter ma contribution au pays. Je ressens de la fierté et un sentiment de responsabilité. »
Les Européens absents de la parade militaire
À Pékin, vingt-sept chefs d’État et de gouvernement assistent au défilé militaire qui se veut monumental, mais du côté des Européens, beaucoup ont décidé de ne pas y participer.
Parmi les dirigeants de l’Union européenne, le Premier ministre slovaque Robert Fico fait cavalier seul. Les autres sont aux abonnés absents dans les tribunes d’honneur sur la place Tiananmen. Une manière de préserver un semblant de front uni pour envoyer ce message à la Chine : impossible de s’assoir aux côtés du président russe Vladimir Poutine, à l’origine de la guerre en Ukraine. Bruxelles n’aurait pas donné des instructions contraignantes, écrit le quotidien hongkongais South China Morning Post, mais même la plupart des ambassadeurs auraient décliné l’invitation.
Cette ligne prudente n’étonne pas, tant les relations sont tendues dans tous les domaines. Lors d’un sommet récent à Pékin, le président du Conseil européen, Antonio Costa, et la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, n’avaient pas hésité à critiquer la surproduction industrielle chinoise et le soutien de la Chine à la Russie. Pékin est accusé d’alimenter la machine de guerre avec la vente de pièces qui peuvent servir à la production d’armes.