Le constat que nous avons fait, en observant le fonctionnement de l’Etat sénégalais depuis l’accession de notre pays à l’indépendance, est que son développement politique bute sur deux obstacles principaux. Le premier est son déficit de souveraineté dû à sa non-viabilité en tant que singleton (voir les travaux de Nkrumah, Cheikh Anta Diop, Théophile Obenga et d’autres que nous ne pouvons pas citer ici). Le deuxième obstacle est la forme d’organisation de l’appareil de gestion de la souveraineté de notre peuple.
Au cœur de l’embryon de l’Etat républicain en construction, sont logés des outils qui servaient à l’Etat colonial pour la gouvernance de sujets. Dans cette contribution à la réflexion en cours sur la Reforme/Refondation de l’Etat sénégalais, nous allons nous focaliser sur le deuxième obstacle. Toutefois nous allons aussi ouvrir une grande parenthèse dans laquelle nous allons apporter des éclaircissements sur la nature de la souveraineté dont le Sénégal dispose aujourd’hui et réitérer les moyens d’amélioration de celle-ci qui ont été proposés par nos précurseurs cités cidessus.
De la nature de la souveraineté du Sénégal
A la veille des indépendances, certains des leaders du mouvement indépendantiste avaient compris que donner à un pays non-viable une indépendance est une manière de pérenniser subtilement le système politique colonial et son mode de production qu’est l’impérialisme. Pire, c’était comme l’a une fois dit Senghor, selon son ancien proche Cheikh Amidou Kane, donner des sucettes aux dirigeants de ces pays et non des entités développables. En bref, un complot sciemment et minutieusement préparé pour maintenir le mode de production impérialiste, la raison d’être du système politique colonial et son mutant, le système néocolonial. En Afrique de l’Ouest, Léopold Sédar Senghor et Modibo Keita s’étaient donné la tâche de maintenir l’ancienne Afrique Occidentale Française en une seule entité politico-économique et sécuritaire qu’ils avaient baptisé le Mali.
En Afrique Centrale, Barthélémy Boganda, de l’Oubangui Chari, s’était donné comme mission de rassembler toutes les anciennes colonies françaises, belges et portugaises, en une seule entité qu’il avait appelé la République Centre Africaine. En Afrique de l’Est, Mwalimu Julius Nyerere avait initié la Fédération des Etats de l’Afrique de l’Est. Kwame Nkrumah de son côté s’était battu pour que tous les pays indépendants de l’Afrique forment une union fédérale au lieu d’accepter le projet de balkanisation que les anciens colons leur proposaient. La motivation de tous ces leaders indépendantistes était d’éviter aux générations futures de l’Afrique de se retrouver avec des Etats qui bien qu’indépendants n’auront pas les coudées franches et les moyens de mettre en œuvre les politiques de développement qu’ils vont se choisir.
En sciences politique, ce type de souveraineté est appelé Souveraineté négative. Un concept développé par Robert H Jackson dans son ouvrage « Quasi États : Souveraineté, Relations internationales et le Tiers Monde » et inspiré par le travail d’Isaiah Berlin sur la Nature de la Liberté. En d’autres termes, le Sénégal est un pays dont les leaders sont libres de se choisir leurs politiques de développement mais n’ont pas les moyens suffisants de mettre des portions majeures de ces politiques en œuvre sans l’aval d’entités extérieures au peuple sénégalais. Les sages Waalaf disent « weddi giss bokkuci ».
La mise en œuvre du programme d’ajustement structurel des années 80, la dévaluation du franc CFA en 1994 par la France contre la volonté du Président Diouf et la grande majorité de ses pairs de la zone monétaire CFA, les récents blocages dans la bonne marche de l’économie sénégalaise causés par une mésentente entre le FMI et le gouvernement sénégalais sur le taux d’endettement du pays sont des preuves indéniables que des pouvoirs extérieurs ont encore la capacité de dicter aux gouvernants sénégalais les modalités de mises en œuvre de politiques qu’ils se sont librement choisies.
Être libre de se choisir ses politiques et ne pas avoir les moyens de les mettre en œuvre si une force autre qu’une constituée par des citoyennes et citoyens s’y oppose, c’est ce que le politologue Robert H Jackson appelle Souveraineté négative. Si avoir la liberté de se choisir ses politiques (indépendance) est accompagné du pouvoir indéniable de les mettre en œuvre alors Jackson parle de Souveraineté positive. Celle-ci ne peut-être parcellaire. Soit un pays l’a ou ne l’a pas ! Avoir une autosuffisance alimentaire ou une balance commerciale largement positive ne veut point dire bénéficier d’une Souveraineté positive, l’objectif stratégique/final de tout mouvement souverainiste. En attendant que cette unification politique salvatrice arrive, il y a moyen de réduire de manière significative le coût de la gouvernance et rendre les membres de l’équipe gouvernante beaucoup plus comptables devant le peuple. Cela va améliorer les conditions de vie des citoyennes et citoyens du sénégalais et rendre l’Etat mieux performant dans la gestion de la souveraineté du peuple. C’est cette question que nous allons maintenant aborder
De la nécessité de compléter la « républicanisation » de l’État sénégalais
La manière dont la souveraineté d’un peuple est gérée, surtout si c’est une République démocratique, exerce une influence directe sur la facilité de développer politiquement et économiquement l’entité qui bénéficie de cette souveraineté, quelle qu’en puisse être sa qualité (Négative/Déficitaire ou Positive/Presque pleine).
L’un des plus grands obstacles au développement politique du Sénégal a été et demeure la conservation, par les régimes qui se sont succédé au pouvoir, d’une portion importante de l’appareil de l’Etat colonial. Le logement de ces outils coloniaux de gouvernance au cœur de l’embryon d’un Etat républicain peut être décrit comme un cancer suffocant des poumons qui entrave le bon fonctionnement du système respiratoire de notre République en gestation.
La conséquence évidente d’un tel arrangement est un Etat inefficace et beaucoup plus coûteux que nécessaire. Cette forme d’organisation de l’Etat a jusqu’ici constitué un frein à son appropriation par les Sénégalaises et Sénégalais et a engendré une difficulté réelle de développer le sens d’un civisme constructif chez ces derniers. Le déficit de l’engagement civique causé par cet état hybride est l’un des obstacles les plus coriaces contre les efforts de développement politique du pays et continuera de l’être tant que l’Etat sénégalais ne sera pas libéré de cette tare.
La préservation de ce mode de gestion de la souveraineté a fait que le peuple ne s’est pas approprié psychologiquement l’Etat et le considère comme une chose qui ne lui appartient pas, un outil pour son asservissement plutôt qu’un moyen de gestion de ce qui lui appartient : sa République indépendante.
Comme la plupart des Etats hérités des colons, l’Etat Sénégal jusqu’ici, n’a pas acquis aux yeux et dans l’esprit des citoyens et citoyennes du pays, la légitimité qui peut encourager un comportement civique où devoirs et droits à l’égard de l’Etat sont considérés comme des exigences pour un mieux vivre ensemble. En plus d’être un obstacle au développement politique du Sénégal ce mode de gestion hybride de la souveraineté de notre peuple est budgétivore. Il n’y a aucune raison qui puisse justifier que le peuple sénégalais qui fait un peu moins de 19 millions d’âmes puissent avoir besoin de plus de paliers pour gérer sa souveraineté que le peuple américain qui en fait 18 fois plus (342 millions/18.8 millions) et est éparpillé sur une surface 46 fois plus grande que celle du Sénégal (Sénégal 212.000 Km², Etats-Unis 9.830.000 Millions de Km²).
Au Sénégal, nous avons les palier…