Une rencontre avec le parti présidentiel d’un côté, le renforcement d’un « front commun » de l’autre… À trois mois de l’élection, les formations d’opposition, qui portent pourtant des objectifs communs, ne parviennent pas à se structurer ni à s’entendre.
Après avoir abondamment circulé sur les réseaux sociaux, la photo a fait la une de nombreux journaux ivoiriens, ce jeudi 17 juillet. On y voit Simone Ehivet Gbagbo et Charles Blé Goudé posant debout aux côtés de plusieurs représentants du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP, au pouvoir). Les sourires sont francs. À trois mois de l’élection présidentielle en Côte d’Ivoire, cette image a de quoi surprendre, mais aussi rassurer une partie de l’opinion inquiète à l’approche d’une échéance aux contours toujours incertains.
« Nous repartons satisfaits de l’accueil qui nous a été réservé ainsi que de la qualité des échanges », a brièvement commenté Ibrahim Cissé Bacongo, le secrétaire exécutif du parti présidentiel. Ce rendez-vous avait été décalé une première fois en raison de « contraintes d’agenda » avant d’être annoncé par les autorités à l’occasion d’une mission préélectorale de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) à Abidjan, début juillet. Un gage de bonne foi donnée à l’institution sous-régionale, elle aussi soucieuse du bon déroulement du scrutin.
Grands absents
Qualifié d’« inattendue mais prometteuse » par le RHDP, cette rencontre sera « la première d’une série », a assuré Bacongo, qui a annoncé la mise en place d’un comité technique pour travailler sur les revendications de l’opposition et le calendrier des rencontres. Huit revendications au total, qui lui avaient été préalablement adressées par courrier, parmi lesquelles la réforme du système électoral et l’ouverture d’un dialogue politique. « Nous ne sommes pas entrés en profondeur dans les détails », a précisé l’ancienne première dame, candidate à la présidentielle, qualifiant l’échange de « premier contact ».
Un « premier contact » qui a cependant divisé au sein même de cette Coalition pour l’alternance pacifique-Côte d’Ivoire (CAP-CI), mise sur pied en mars et qui regroupe une quinzaine de formations, dont le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), de Tidjane Thiam, le Front populaire ivoirien (FPI), de Pascal Affi N’Guessan, le Congrès panafricain pour la justice et l’égalité des peuples (Cojep), de Charles Blé Goudé, et le Mouvement des générations capables (MGC), de Simone Ehivet Gbagbo – porte-parole de CAP-CI. Les deux premiers ont en effet décliné l’invitation.
Pour Pascal Affi N’Guessan, candidat à la présidentielle, qui avait opéré un rapprochement avec le parti au pouvoir en 2023, ce rendez-vous « n’a[vait] aucun intérêt ». « C’est le dialogue avec le gouvernement qui nous préoccupe, et non un dialogue avec le RHDP », a fait savoir l’ancien Premier ministre, sorti affaibli politiquement du bref « partenariat » noué avec la majorité deux ans plus tôt.
« Maturité politique »
Même son de cloche au PDCI, qui estime que « le dialogue doit se faire avec le gouvernement, pas avec le parti au pouvoir ». Le principal parti d’opposition ivoirien avait par ailleurs d’autres projets ce jeudi : alors même que Tidjane Thiam se trouve être le coordonnateur principal du CAP-CI, le PDCI et le Parti des peuples Africains-Côte d’Ivoire (PPA-CI), de Laurent Gbagbo, présentaient de leurs côtés les actes constitutifs de leur « Front commun », ainsi que les membres de ses organes.
« Au Front commun, nous ne voulons plus d’élections porteuses de violences, de sang et de morts. C’est un appel à la raison, à la responsabilité, pour que la Côte d’Ivoire avance dans la paix », a indiqué Noël Akossi Bendjo, représentant d’un Tidjane Thiam absent de Côte d’Ivoire depuis plus de trois mois, candidat déclaré mais radié des listes électorales en raison de son ex-binationalité. Inéligible lui aussi, Laurent Gbagbo était également absent de la cérémonie. Il était représenté par le président exécutif de sa formation, Sébastien Dano Djédjé, qui voit en ce rapprochement « un acte de maturité politique ».
Difficile de concevoir ce que ces désormais deux blocs puissent trouver le chemin d’une union à quelques mois du scrutin. S’ils partagent de nombreux objectifs, les rancœurs entre les membres sont tenaces et semblent en l’état indépassables. Laurent Gbagbo n’a plus parlé à Charles Blé Goudé, Pascal Affi N’Guessan et son ex-épouse, Simone Ehivet Gbagbo, depuis des années. Quant à Tidjane Thiam, l’annonce de son rapprochement avec l’ancien chef de l’État avait provoqué un profond malaise chez certains de ses alliés du CAP-CI. La décision d’Alassane Ouattara, qui doit annoncer dans les semaines à venir s’il brigue ou non un quatrième mandat, pourrait-elle les rapprocher ? Rien n’est moins sûr.
Jeune Afrique