L’enseignant-chercheur au Centre d’études des religions (CER) de l’Université Gaston Berger de Saint-Louis où il a fondé depuis 2012, l’Observatoire des radicalismes et conflits religieux en Afrique, s’est prononcé sur l’attaque du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (JNIM) ce 1er juillet 2025 vers 6h du matin à Diboli (Kayes), à quelques kilomètres de Kidira, du Sénégal. Dans ce décryptage du Dr. Bakary Sambe, fondateur et directeur régional du Timbuktu Institute , plusieurs aspects liés à la capacité d’attaque évolutive de ce groupe JNIM.
En effet, il rappelle, dans cette analyse que les attaques du 1er juillet 2025 illustrent la capacité croissante du JNIM à orchestrer des opérations complexes, exploitant le vide sécuritaire et l’isolement de Kayes pour déstabiliser le Mali et menacer ses voisins. Et que, par ailleurs, la sophistication tactique, la robustesse logistique et l’exploitation des dynamiques socio-économiques soulignent la nécessité d’une réponse régionale intégrant une coopération transfrontalière, le partage de renseignement et des investissements massifs dans la résilience socio-économique pour contrer cette menace multidimensionnelle. Malgré la volonté de circonscrire cette menace, il ne faudrait pas commettre l’erreur tactique de se fier aux seules réponses classiques strictement militaires qui ont toujours montré leurs insuffisances face à la guerre asymétrique qu’est le terrorisme.
Une montée en puissance du JNIM avec une combinaison sophistiquée de diverses tactiques
Les attaques simultanées menées par le JNIM (Jama’at Nusratal-Islam wal-Muslimin) à Kayes, Diboli, Gogui, Niono, Molodo, Sandaré et Nioro du Sahel, marquent une montée en puissance dans la trajectoire récente du groupe terroriste, révélant une combinaison sophistiquée de tactiques militaires, d’instrumentalisation des griefs et des vulnérabilités socioéconomiques et socioculturelles. Ces offensives, concentrées dans la région de Kayes à la trijonction Mali-Sénégal-Mauritanie et dans le centre du Mali dans la région de Ségou, visent à exploiter les faiblesses structurelles de l’État malien tout en consolidant l’influence du JNIM dans une zone stratégique vitale pour le ravitaillement de Bamako. La région de Kayes, caractérisée par une faible présence étatique et des frontières poreuses, offre au JNIM un terrain idéal pour ses opérations et son avancée dans l’Ouest malien. Les attaques du 1er juillet, ciblant des postes militaires, des douanes et des axes logistiques comme Diboli juste à la frontière sénégalaise et Gogui proche de la Mauritanie, s’inscrivent dans la logique de perturbation des voies d’approvisionnement de Bamako et à renforcer le contrôle des routes commerciales et des trafics transfrontaliers.
Une capacité de coordination tactique avancée sur le plan opérationnel et informationnel
La Katiba Macina, branche la plus active du JNIM avec environ 8 000 combattants, a revendiqué ces assauts via la chaîne Al-Zallaqa dès la matinée du 1er juillet, démontrant une coordination tactique avancée sur le plan opérationnel et informationnel. Cette capacité à frapper simultanément sur plusieurs fronts reflète une logistique robuste dont s’est désormais procuré le groupe terroriste. Cette capacité est certainement soutenue par des revenus issus, au-delà du seul orpaillage, d’activités illicites comme le trafic de bois avec pas moins de 13 millions de dollars générés rien que dans la zone de Kéniéba entre 2019 et 2021 et le vol de bétail, ainsi que par des points de ravitaillement stratégiques, probablement, dans les environs de Nankoumana et Kaladiango. Malgré les efforts militaires conjoints nécessaires, il ne faudrait pas perdre de vue le fait que le succès du JNIM repose également sur son instrumentalisation des tensions socio-économiques et environnementales. En instrumentalisant les griefs des communautés marginalisées et en s’imposant sur le plan communautaire comme un acteur économique alternatif via le contrôle des secteurs-clés dans la zone comme l’élevage et le bois, le groupe continue d’attirer des recrues, notamment via ses très actives plateformes comme Telegram et d’autres réseaux sociaux en utilisant de plus en plus les langues locales.
Le JNIM profite du vide sécuritaire laissé par le désengagement international
Il faut dire, aussi, que le vide sécuritaire laissé par le retrait des forces internationales (MINUSMA en 2023, forces françaises en 2022) et les limites de la coopération russo-malienne, que l’on dit entachée, par les abus du Groupe Wagner, ont amplifié la menace et la capacité de mobilisation communautaire du JNIM. Malgré des succès ponctuels des FAMa, comme précisément à Niono où 30 assaillants auraient été tués, les pertes subies dans d’autres localités-clés soulignent les défis de l’Alliance des États du Sahel (Mali, Burkina Faso, Niger) face à un JNIM de plus en plus offensif malgré les efforts de coordination qui peinent à donner leurs fruits. Le Mali a besoin de la coopération régionale pour faire face à une menace qui étrangle certaines régions intérieures tout en débordant de ses frontières
Une stratégie à long terme du JNIM visant à isoler voire asphyxier Bamako et à étendre l’influence du groupe vers d’autres pays
Il est clair que les attaques de ce 1er juillet s’inscrivent dans une stratégie à long terme visant à isoler voire asphyxier Bamako et à étendre l’influence du groupe vers d’autres pays, menaçant progressivement la stabilité régionale. Pour contrer cette dynamique, une approche militaire seule, même éventuellement renforcée, pour le cas du Mali, par la coopération avec la Russie à travers Wagner puis AfricaCorps, s’est révélée insuffisante. Une coopération transfrontalière renforcée de tous les pays voisins, incluant le nécessaire partage de renseignement, la coordination et des investissements conséquents dans la résilience socio-économique, est essentielle pour circonscrire cette menace multidimensionnelle. Sans une réponse globale coordonnée tenant compte de toutes ces dimensions sociopolitiques et culturelles, le JNIM continuera d’exploiter les vulnérabilités régionales pour étendre son emprise.Toutefois les récentes mutations de la menace avec une communautarisation sans commune mesure de la violence devrait appeler à plus de prudence pour ne pas biaiser la lutte contre le terrorisme qui s’assimile dans certains pays à des confrontations intercommunautaires voire des velléités politiques purement internes.