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Iran : comment l’économie survit aux sanctions depuis quatre décennies

Iran : comment l’économie survit aux sanctions depuis quatre décennies

Alors que le cessez-le-feu entre Israël et l’Iran a mis fin à douze jours de guerre, la République islamique s’accroche à un modèle économique unique au monde. Isolée, sanctionnée, appauvrie, elle ne s’effondre pas. Portée par ses hydrocarbures, ses réseaux militaires et son économie parallèle, l’Iran résiste en maintenant un système autoritaire taillé pour la survie, aux dépens de la croissance.

Alors que le cessez-le-feu entre Israël et l’Iran met temporairement un terme à la « guerre des Douze Jours », le président des États-Unis, Donald Trump affirme ne « pas vouloir » de changement de régime à Téhéran. Un refus motivé, selon lui, par la crainte de déclencher un nouveau cycle de chaos au Moyen-Orient. Un positionnement qui permet au régime des mollahs de conserver le pouvoir et avec lui un système économique qui ne coule pas, malgré plus de quatre décennies de sanctions internationales.

Depuis la révolution islamique de 1979, le pays vit en quasi-autarcie. Hors du système bancaire international, exclu de nombreux marchés occidentaux, privé d’accès à ses propres devises en dollars ou en euros, l’Iran a bâti pour ses 90 millions d’habitants un modèle économique singulier. Une économie « de résistance », dépendante du pétrole, fondée sur une forte intervention de l’État et l’essor d’un marché informel massif.

Une économie sous sanctions
Depuis plus de quarante ans, l’Iran vit sous un régime de sanctions internationales presque ininterrompu. Ce sont d’abord les États-Unis qui, après la révolution islamique de 1979 et la crise des otages, instaurent un embargo commercial strict qui n’a cessé de s’élargir au fil des années. Washington accusant notamment l’Iran de financer le terrorisme, de violer les droits humains et, surtout, de chercher à se doter de l’arme nucléaire. C’est précisément ce dernier point qui a poussé Donald Trump en mai 2018 lors de son premier mandat à se retirer de l’accord sur le nucléaire iranien et amené un embargo sur les produits pétroliers, sur le secteur aéronautique, minier, et une interdiction d’utiliser le dollar américain dans les transactions commerciales avec l’Iran.

Depuis cette date, l’Iran est d’ailleurs coupé du système Swift, qui permet les paiements internationaux. Cette exclusion rendant presque toute transaction internationale impossible, le pays ne peut ni recevoir ni envoyer de l’argent facilement. Résultat, le rial, la devise de l’Iran, a perdu 2 800% de sa valeur en une décennie alors que l’inflation dépasse désormais les 50 %. Selon le FMI, le PIB de l’Iran est passé de 625 milliards de dollars en 2011 à 341 milliards en 2025.

Dans une telle situation, comment expliquer que le système économique iranien ne se soit pas effondré ? Depuis la révolution de 1979, le régime a converti l’isolement en levier politique en développant des circuits parallèles et a renforcé son emprise sur des secteurs stratégiques. C’est ce que Téhéran appelle « l’économie de la résistance. »

Les Gardiens de l’économie : un régime adossé à ses monopoles
Pour se maintenir, le régime iranien s’appuie sur un appareil économique parallèle militarisé. Au centre de ce dispositif : les Gardiens de la Révolution. Nés pour défendre la République après 1979, ces militaires d’élite ont progressivement étendu leur emprise bien au-delà du champ sécuritaire. Le bras économique des Gardiens contrôle aujourd’hui des secteurs clés : pétrole, gaz, infrastructures, BTP, télécommunications, transport maritime. Officiellement autofinancées, ces entreprises profitent d’un accès privilégié aux marchés publics et d’une opacité comptable quasi totale. Elles échappent aux audits, ne versent pas de taxes claires à l’État, et verrouillent la concurrence. Un véritable État dans l’État présenté comme plus puissant que le gouvernement officiel.

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S’il n’existe pas de chiffres officiels, plusieurs experts estiment que la moitié de l’économie nationale est sous contrôle des Gardiens. Ils bénéficient de contrats publics sans appels d’offres, ne rendent de comptes à aucune autorité indépendante et échappent complètement au budget de l’État.

Ce tissu économique, en grande partie contrôlé par l’État ou ses proches, fonctionne comme une rente fermée : il distribue des privilèges à ceux qui soutiennent le pouvoir, tout en assurant la survie du régime. Face à l’effondrement de la monnaie et à l’hyperinflation, le régime tente de limiter la casse en distribuant des subventions, en garantissant des emplois publics peu qualifiés, ou encore en maintenant artificiellement des prix bas sur certains produits de base. C’est une économie de guerre, tournée vers l’intérieur, qui permet au pouvoir de tenir malgré l’isolement international.

Marché noir, troc et débrouille : une économie à deux vitesses
Mais la population paie le prix de cette résistance à l’ordre mondial. Selon l’économiste Farshad Momeni, 70% des Iraniens vivent sous le seuil de pauvreté ou risquent d’y tomber. À côté de ce bloc militaro-étatique, une autre économie s’est imposée : celle du troc et de la débrouille. Selon le Financial Tribune, plus de 37% du PIB échapperait au secteur formel.

Ici, tout s’échange : de l’essence qui passe clandestinement vers l’Afghanistan et le Pakistan, des produits électroniques importés par contrebande depuis Dubaï, ou des médicaments achetés sous le manteau. Les devises étrangères, notamment le dollar, s’échangent sur le marché noir à un taux jusqu’à dix fois supérieur au taux officiel. Les bazars traditionnels se muent en hubs informels. Les jeunes diplômés, exclus du marché formel, enchaînent ces petits boulots. Les plus qualifiés fuient vers l’étranger quand ils le peuvent. Le ministère iranien des Sciences, de la recherche et de la technologie avançait en 2016 que 180 000 diplômés de masters des meilleures universités quittaient le pays chaque année, faisant de l’Iran l’un des pays avec la plus forte fuite des cerveaux au monde.

Ce système à deux vitesses est paradoxal : il étouffe la société civile, mais amortit les chocs. Il empêche le développement, mais garantit une forme de stabilité. Et tant que les revenus des hydrocarbures continuent à affluer via des intermédiaires chinois, russes ou émiratis, le régime peut entretenir cette économie à deux étages : un capitalisme d’État autoritaire en haut, une économie de survie en bas.

L’économie iranienne, la mondialisation des marginaux
Si l’Iran est isolé, il n’est pas totalement coupé du monde. À mesure que les sanctions se sont renforcées, Téhéran a développé un art du contournement, en s’adossant à des puissances rivales des États-Unis. Premier partenaire commercial : la Chine, avec laquelle un accord stratégique de 25 ans a été signé en 2021. En échange d’investissements dans les infrastructures et l’énergie, Pékin achète du pétrole iranien à prix réduit. Officiellement, le volume des échanges bilatéraux tourne autour de 15 à 20 milliards de dollars par an, mais de nombreux flux échappent aux radars officiels, transitant par Dubaï, le Kazakhstan ou Oman.

Autre allié stratégique : la Russie, qui, depuis sa propre mise sous sanctions en 2022, a intensifié sa coopération avec l’Iran. Les deux pays multiplient les accords de troc, notamment autour d’armements, de céréales, ou de composants électroniques. L’Iran est devenu, selon plusieurs rapports occidentaux, un fournisseur de drones et de missiles balistiques pour Moscou dans le cadre de la guerre en Ukraine — un commerce semi-officiel qui rapporte devises et influence au régime.

Ce modèle à deux vitesses — militaro-étatique au sommet, informel à la base — permet à la République islamique de tenir sans s’ouvrir, de commercer sans s’intégrer, de redistribuer sans se réformer. Mais il ne crée pas de développement à long terme. Il génère du contrôle, pas de croissance. Il alimente l’opacité, pas l’investissement.

 


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