Les ambassadeurs de Ouagadougou, Niamey et Kaboul se sont rencontrés séparément ces dernières semaines. Un rapprochement d’autant plus inattendu que le Burkina Faso et le Niger sont en butte à une insurrection jihadiste menée par la branche sahélienne d’Al-Qaïda. Al-Qaïda qui voit dans le régime taliban un partenaire solide.
C’est une rencontre quelque peu inattendue. Lundi 12 mai, le gouvernement taliban recevait, dans les bureaux de son ambassade à Téhéran, une délégation du Burkina Faso, menée par son ambassadeur en Iran, Mohamadi Kaboré. La photo publiée par le compte X de l’ambassade afghane montre l’émissaire de Ouagadougou tout sourire, assis devant une tapisserie de la kaaba, encadré des drapeaux de l’émirat islamique, partageant quelques gâteaux avec son homologue, Maulvi Fazl Mohammad Haqqani.
Selon le gouvernement taliban, la rencontre portait sur « l’élargissement de la coopération dans les domaines du commerce, de l’agriculture, des mines et de l’échange de compétences professionnelles », entre les deux pays. « Il a également été promis d’offrir prochainement des opportunités aux délégations du secteur privé de se rendre sur place pour développer les échanges commerciaux entre l’Afghanistan et le Burkina Faso », est-il précisé.
Si la rencontre surprend, c’est parce que la junte burkinabè, dirigée par le capitaine Ibrahim Traoré, fait face à une violente insurrection jihadiste sur la quasi-intégralité de son territoire. Dimanche, un assaut coordonné d’Ansarul Islam, la branche burkinabè du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (JNIM), a dévasté huit localités dans le nord du pays. La ville de Djibo (300 000 habitants) a vu défiler dans ses rues des dizaines de jihadistes armés qui se sont emparés du camp militaire, ont pillé la gendarmerie, le commissariat et la mairie, se servant au passage dans les arsenaux, et tuant des dizaines de personnes.
L’Afghanistan, sanctuaire d’Al-Qaïda
Le lendemain du massacre, l’ambassadeur Mohamadi Kaboré, en poste à Téhéran depuis mars 2023, rencontrait le représentant des talibans. Ceux-ci n’ont pourtant jamais caché leur proximité avec le mouvement terroriste Al-Qaïda, auquel est affilié le JNIM, ennemi juré des autorités de Ouagadougou.
Du côté de l’Afghanistan, cela peut s’expliquer par le fait que les combattants talibans tentent de normaliser leurs relations internationales. Un effort soutenu par plusieurs États, comme la Chine qui a accepté un ambassadeur à Pékin dès décembre 2023, ou la Russie qui a retiré le groupe islamiste de sa liste des organisations terroristes en avril dernier. Même l’ONU a prôné une réintégration progressive du mouvement islamiste au sein de la communauté internationale. Quant aux États-Unis, depuis le second mandat de Donald Trump, ils amorcent à leur tour un discret rapprochement. Même si, en juin 2024, Seïf al-Adel, le leader d’Al-Qaïda, a appelé ses combattants à se rassembler en Afghanistan, sanctuaire dans lequel ils pourraient développer son mouvement et poursuivre son expansion, notamment en Afrique où la majeure partie de ses capacités opérationnelles se concentrent aujourd’hui.
De fait, le Sahel reste la région la plus frappée par le terrorisme, cumulant 51 % des morts provoquées par ce mode d’action dans le monde, selon le rapport Global Terrorism Index 2025. Cette année, pour la première fois, la barre des 25 000 morts y a été dépassée. Quant au Burkina Faso, il est pour la deuxième année consécutive le pays le plus touché par la violence terroriste dans le monde, remplaçant l’Afghanistan.
À la recherche de nouveaux partenaires
Ouagadougou n’est pas la seule capitale sahélienne à engager un rapprochement avec les talibans. Le 23 avril, c’est l’ambassadeur de Niamey, Seydou Zataou Ali, qui était reçu à Téhéran par son homologue Maulvi Fazl Mohammad Haqqani. Au menu des discussions : renforcement des relations bilatérales, développement de la coopération diplomatique et augmentation des interactions entre l’Afghanistan et le Niger.
Marqués par des bonds inflationnistes en 2024 et menacés par l’extension du conflit au Sahel, le Niger et le Burkina Faso traversent une phase de réorientation économique. Niamey compte sur ses ressources pétrolières, mais les tensions avec l’entreprise chinoise gérant la production et la crise diplomatique engagée avec le Bénin ont stoppé les exportations de brut via son pipeline. Quant au Burkina Faso, il doit éponger l’accroissement de 20 % de sa dette intérieure en un an, portée à 7 milliards d’euros fin 2024. Des conditions précaires, qui inciteraient les membres de l’Alliance des États du Sahel (AES) à chercher de nouveaux partenaires commerciaux et de nouveaux débouchés économiques. Y compris avec des pays en difficulté comme l’Afghanistan.
Ces mains tendues dissimuleraient-elles enfin une volonté de trouver, par l’entremise des talibans, une voie de négociation avec Al-Qaïda ? Bien que la propagande des trois confédérés fasse en permanence état de victoires militaires sur les groupes armés terroristes, la réalité du terrain est tout autre. Selon l’ONG Armed Conflict Location & Event Data (Acled), qui effectue une veille des incidents sécuritaires au Sahel, « le conflit s’intensifie et l’instabilité se propage au-delà du Burkina Faso, du Mali et du Niger ».
Un développement qui a conduit les autorités maliennes à entamer de discrètes discussions avec la katiba Macina, branche du JNIM, opérant dans le centre du pays. Si des trêves peuvent se négocier localement, l’intervention d’un acteur étatique, tel que le gouvernement afghan, permettrait à des négociations d’atteindre les sphères dirigeantes des groupes terroristes qui opèrent au Sahel. La quête de reconnaissance des talibans sur la scène internationale en font des interlocuteurs parfaits pour l’ouverture d’un canal de discussions avec la direction d’Al-Qaïda, si sa branche sahélienne s’y refuse. Un pragmatisme qui permettrait aux États de l’AES de se ménager, dans un conflit qui s’embourbe, une discrète porte de sortie.
Jeune Afrique