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La culture à l’ère de l’intelligence artificielle Tricherie, diplômes et savoirs : quel(s) critère(s) pour évaluer l’intelligence ? ( Par Alassane K. KITANE )

La culture à l’ère de l’intelligence artificielle  Tricherie, diplômes et savoirs : quel(s) critère(s) pour évaluer l’intelligence ? ( Par Alassane K. KITANE )

Les nombreux cas de candidats pris en flagrant délit de tricherie avec leur portable ou en détention de cet outil doivent nous interpeller sur l’adéquation entre les modes d’évaluation que nous continuons à proposer et les instruments que la technoscience met à la disposition de nos apprenants. Il faut reconnaitre que la science et la technique ont, de tout le temps, entretenu une relation imbriquée voire dialectique avec l’école : produits de l’école, elles ont toujours contribué à la modifier ou à la refaçonner. Le problème est de savoir si les moyens de l’école sénégalaise sont au niveau des moyens individuels à la disposition des apprenants. C’est une manière de dire que l’école sous sa forme actuelle pourrait avoir été dépassée, depuis longtemps même, par l’école parallèle qu’offre la technoscience. Autrement dit, notre éducation nationale a un retard considérable en termes d’investissement requis pour être au niveau des progrès de l’humanité. Face à l’intelligence artificielle (cette capacité qu’offrent le numérique et l’internet à computer des données, à en faire la synthèse pour résoudre des problèmes on ne peut plus complexes) l’école sénégalaise se démène dans des difficultés du Moyen-Âge.
 
L’angoisse la plus partagée aujourd’hui est la mort de l’humanité à cause de l’intelligence artificielle (branche de l’informatique qui traite de l’imitation par la machine de certaines capacités de l’intelligence humaine), mais les esprits tordus se demanderaient plutôt : l’homme a-t-il jamais existé ? Les progrès accomplis par la computation ou la compilation qui est le mode de fonctionnement de la « pensée » artificielle nous révèlent une chose terrifiante : nous sommes des machines ou plus exactement des « animaux-machines ». Nietzsche a, déjà à son époque, affirmé que la conscience dont nous nous vantons tant n’était que le dernier degré du développement de l’organisme (Elon Musk doit certainement être un de ses disciples lui qui pense pouvoir placer des puces, Telepathy, dans le cerveau humain).
 
L’école est dépassée : les enseignants sont devenus de mauvais élèves
 
L’enseignant que je suis, qui pensait que l’intelligence artificielle se limite au GAFA (Google, Apple, Facebook et Amazon) a été choqué par un collègue qui m’a interpellé sur la certitude ou la preuve logique qu’il avait que certaines copies étaient produites par le système ChatGPT4. La tricherie a l’âge des outils de son époque : les feuilles, les bouts de papier, la paume de la main remplie de calligraphies, etc. ne sont plus de notre époque. La tricherie est aujourd’hui l’envers des méthodes sophistiquées d’acquisition du savoir : la paresse prend toujours les raccourcis. C’est par conséquent un fléau à éradiquer si nous ne voulons pas mourir en tant que civilisation du mérite et de la performance adossée aux valeurs morales qui font notre singularité en tant qu’espèce.
 
Il se pourrait très bien que nous soyons donc dans l’inverse de la thèse d’Hannah Arendt sur le principe de l’éducation. Arendt pensait que l’éducation des jeunes se fait comme si des adultes devaient, chaque année, prendre en charge des milliers de barbares (jeunes) à civiliser. Nous sommes à une ère où, sans nous en rendre compte, l’IA a fait de sorte que nous soyons plutôt les barbares à civiliser (Laurent Alexandre, La Guerre des intelligences, © 2017, éditions Jean-Claude Lattès « Nous devenons des barbares dans notre propre monde »). C’est dire donc si nous sommes en retard sur ceux qui sont censés être nos apprenants ! ChatGPT est-il en train de rendre caducs l’effort intellectuel, la réflexion, le mérite personnel, l’excellence ? Quel mérite d’avoir des diplômes à l’ère de l’IA ?
 
Ces questions redoutables nous interpellent, et nous ne pouvons pas faire l’économie de leur examen rigoureux pour esquisser des solutions. La survie de la culture humaine en dépend ; le développent économique et social aussi. Car on ne peut imaginer une société dirigée par des hommes qui ont tous les diplôme grâce à l’IA et qui, lorsqu’ils sont confrontés à des cas pratiques, sont radicalement incapables de prendre la moindre initiative innovante. La tricherie est en train de prendre des formes révolutionnaires et presque imperceptibles : une montre connectée, une puce à l’oreille (au sens propre du terme), un portable connecté, etc., peuvent être exploités par les nouveaux experts de la tricherie à l’école. Sommes-nous déjà l’ère de l’inculture ? La culture à l’ère de la noosphère et de la techno-sphère est-elle encore de la culture ?
 
Aristote pensait que le travail n’est ni de la poësis (production, création d’une œuvre extérieure à l’agent) pure ni de la praxis (l’action immanente n’ayant d’autre fin que le perfectionnement de l’agent) pure, mais se situe entre les deux. En transformant la nature, l’homme s’auto-transforme ; et les marxistes aiment bien nous rappeler comment nos moyens de production finissent par créer des rapports de production dans lesquels nous devenons ce que nous sommes. Il se pourrait donc que l’IA soit en train de nous changer insensiblement en tant qu’espèce : nous serons (ne le sommes-nous pas déjà ?) les produits d’une interaction entre l’homme et la machine. Intelligence humaine et intelligence artificielle, la frontière est probablement dissoute. Les individualités s’abreuvent de la culture de leur époque, mais par leur génie propre, elles l’enrichissent : de même l’IA va féconder notre intelligence bien qu’elle en soit le fruit. Dans le Livre II, Chapitre 8, de sa Physique, Aristote dit : « L’art en général (tekhnè), ou bien imite la nature, ou bien exécute ce que la nature est dans l’impossibilité d’accomplir ». L’IA imite la nature et la dépasse, elle la supplée et nous prouve que la culture restera généralement la continuation de la nature par des moyens plus performants et, parfois, « contre-nature ». Nous augmentons les capacités de nos plantes, de nos bêtes, etc. par la biotechnologie : pourquoi n’augmenterions-nous pas notre intelligence ? La nature humaine ne se définit pas en dehors de la culture, or nous sommes dans une technosphère et une noosphère auxquelles nous ne pouvons nous dérober. Inutile donc de fermer les yeux pour prétendre échapper au danger, il faut faire face aux mutations sans nostalgie inhibitrice.
 
Culture ou inculture ?
 
C’est dans et par la culture que l’homme se forme ; son intelligence, bien qu’ayant pour siège le cerveau (organe naturel) est un produit de l’éducation. Cette éducation passe par le langage, véhicule des idées, des savoir-faire et des valeurs qui font la spécificité de l’humain. Mais comme nous l’avons dit ci-haut, la science et la technique, qui sont les fruits ou produits de cette éducation, interagissent avec cette dernière soit pour l’apprivoiser en termes de contenus et de moyens, soit pour lui lancer des défis potentiellement fatals. L’intelligence dite artificielle est justement un de ces défis.
 
Qu’est-ce que l’intelligence artificielle ? Peut-on, dans l’absolu, parler d’intelligence artificielle comme s’il y avait une intelligence naturelle ? Ou bien veut-on dire par là que la vraie nature humaine est le produit de la culture ? Si la nature humaine est acquise, donc l’intelligence est un produit culturel : au nom de quoi devrait-on considérer les technologies de l’information et de la communication comme une intelligence artificielle ? Cette dichotomie ne traduit-elle pas une frilosité plutôt qu’une vérité empirique ?
 
Comment peut-on continuer à évaluer les hommes alors que ce sont le…


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