Un homme a un rapport pathologiquement distant avec la vérité. Il désinforme tout le temps et dans diverses langues. Mais il reste un homme, et à ce titre doit bénéficier d’un procès équitable. Une démocratie s’honore de demeurer en toutes circonstances dans le carcan des règles qu’elle s’est prescrites, quelle que soit la situation et malgré la gravité des dangers qui la menacent. Le monde a les yeux rivés sur le Sénégal. Le scénario est trop beau pour des observateurs internationaux qui fantasment sur le récit de la persécution d’un opposant par une justice corrompue instrumentalisée par un tyran d’un lointain pays africain. Ce n’est nullement le cas au Sénégal. Mais que vaut la vérité matérialisée par un homme qui a clamé urbi et orbi sa hâte d’aller à un procès avant de se dérober ; que vaut cette vérité quand la manipulation et les faits alternatifs deviennent une norme ? Et quand la presse censée informer juste et vrai va, dans une grande partie de ses composantes, à l’encontre de tous les principes qui régissent le métier.
Après deux années de diverses polémiques, devrait débuter un procès important où la Justice aura à trancher dans un conflit privé dont les conséquences ont provoqué de nombreux morts d’innocents et rendu vulgaire le débat public. Le récit sordide a pollué toute possibilité d’élever la dispute politique au niveau où elle devrait se situer. Affaire de mœurs. Ramifications politiques. Quelles que soient l’adversité et les aversions, la vie privée des hommes politiques ne m’intéresse pas. Je trouve malsain de circonscrire l’espace public au déballage concernant les affaires privées des citoyens, fussent-ils des responsables publics. Le privé est privé, et devrait en toutes circonstances le rester, sauf en cas de potentielle commission d’actes contraires à la loi. Je ne trouve aucune grandeur à instrumentaliser une affaire privée pour nuire à un opposant. Il va sans dire que si, comme le pense une partie de l’opinion, cette affaire n’en est pas une, les juges auront le devoir de le dire.
Dans la même veine, je trouve inacceptable de lier tout à la politique, d’excuser tous les manquements à la loi et à la morale publique au motif qu’on serait un opposant et qu’on serait l’objet de prétendus complots. Comme si les hommes politiques étaient une catégorie à part, hors du champ d’application des lois de la République, et qu’il faudrait leur appliquer un droit particulier qui romprait ainsi avec le principe d’égalité des citoyens. Il y a un esprit chevaleresque que beaucoup d’hommes politiques de cette époque n’ont plus ; ce sont pour beaucoup des personnages médiocres sans aucun relief, dépourvus du sens de l’engagement, de l’exigence de rigueur et du culte du service à la cité. Comment appréhender le fait qu’un homme puisse s’affranchir de toutes les lois, de ce que Orwell appelait la «common decency» et oser encore faire face à ses concitoyens comme si de rien n’était.
Le Sénégal est un pays moralement effondré, sinon comment comprendre que des journalistes, hommes politiques, autorités sociales et coutumières puissent donner crédit à un homme qui s’encastre de manière quotidienne dans un cycle de mensonges, de contradictions et d’appels à la violence, au lieu de faire face à ses juges dans une affaire privée ? Après l’accusation de viol, l’appel au «Mortal Kombat», les invocations d’un complot, les mensonges, les tentatives insurrectionnelles ; tel un cycle d’abaissement moral.
Dans aucune démocratie sérieuse un homme public accusé de viol puis inculpé par un juge d’instruction ne paraderait ainsi, bâtissant des coalitions, sollicitant des suffrages, faisant face aux médias et à ses concitoyens, s’érigeant en donneur de leçons et indiquant même où poser le curseur du patriotisme. Au fond, le problème n’est pas lui, mais nous. C’est parce que nous donnons les preuves que la morale publique et l’exigence de dignité et de probité ne sont pas sacrées que des choses de ce genre sont possibles.
Dans aucune autre grande démocratie, une organisation politique accepterait que sa liste électorale soit dirigée par un homme inculpé pour viol. Aucun média n’accepterait de manière banale de tendre le micro tous les jours à un homme inculpé pour viol. Aucun universitaire ou personnage public ne devrait s’honorer de taper la pose de manière ostentatoire avec un homme inculpé pour viol.
La présomption d’innocence est sacrée, et nul ne devrait la remettre en question. A ce propos, les jugements hâtifs sont inacceptables. Et les responsables publics, ceux surtout qui ont à charge de gouverner, devraient s’affranchir de condamner des adversaires politiques avant leur procès. Mais, dans la majorité comme dans l’opposition, on a fécondé la même graine d’un antirépublicanisme qui, personnellement, me terrifie, car il est le lit de toutes les agressions à notre commune appartenance à un même destin. Mais la présomption d’innocence, je le rappelle, ne signifie en aucun cas une prime à l’irresponsabilité. Devant de si graves accusations, chacun a le droit, s’il n’a rien à se reprocher, de clamer son innocence, mais il n’a aucun droit d’imposer sa nature d’homme sans gêne dans l’espace public. Devant ces accusations, on se retire pour préparer sa défense et aller répondre à ses juges afin de clamer son innocence, surtout que la charge de la preuve incombe à l’accusatrice. Je suis sidéré par le comportement d’un homme qui ne recule devant rien pour assouvir son envie maladive du pouvoir, prêt à enjamber des cadavres pour être élu. «Un homme, ça s’empêche», disait Camus.
On peut avoir des divergences avec d’autres hommes politiques comme Khalifa Sall et Karim Wade par exemple, mais devant des procédures judiciaires, ils ont fait preuve de responsabilité, n’ont insulté ni juges, ni journalistes, ni haut-gradés de l’Armée et sont partis comparaître devant le Tribunal. Condamnés et ayant passé de longs mois en prison loin des leurs, ils enduré d’une belle endurance sans se lamenter. Ces deux hommes ont fait preuve d’une culture républicaine. Ils savent qu’il n’y a aucun honneur à insulter et calomnier ceux qui par le devoir de réserve qu’imposent leurs fonctions, ne peuvent réagir. Or, ce qui caractérise le mieux les médiocres, c’est de ne s’ériger aucune limite, de ne savoir garder ni secrets ni posture élevée et d’ignorer le sens et le prestige d’un Etat qu’ils aspirent pourtant à diriger.
En 2011, au sommet d’une popularité qui voyait les portes de l’Elysée s’ouvrir à lui, l’homme politique français, Dominique Strauss-Kahn, a été frappé par l…