« L’ignorance mène toujours à la servitude ». Ayant compris cela, mon « esclave sérère » Wagane FAYE a quitté son Sine natal pour mieux connaître le fonctionnement de notre Assemblée nationale et surtout maîtriser les contours de sens qui auréolent le principe d’immunité parlementaire qui a fait et continue de faire couler beaucoup d’encre et de salive. Des affaires d’avant-hier dites « Barthélémy DIAZ » et « Khalifa SALL», d’hier «Ousmane SONKO» et «Bougazeli », ou encore aujourd’hui « Amy Ndiaye Gniby », la même antienne est chantonnée sans qu’on ne saisisse réellement le vrai contenu de la notion dans son sens et dans sa signification.
A l’instar du Huron, rencontrant Jean RIVERO, et venu en France pour visiter le Palais royal qui abrite le Conseil d’Etat afin de saluer les prouesses du droit administratif, Wagane était devant les grilles du Parlement sénégalais pour attendre qu’un sachant vienne l’édifier sur l’immunité parlementaire. On en parle partout et il en ignore tout, surtout avec les cas des députés cités dans une affaire de trafic de passeports diplomatiques et les menaces qui fusent dans l’hémicycle depuis les propos de Mme Amy et les pratiques shaolines qui en ont résultées.
Par pur hasard, je passais devant et il me reconnut vu mes quelques passages télévisés parlant souvent de droit.
Sans retenue, il m’aborde avec un ton vernaculaire et soutenu, propre à mes cousins esclaves. « Eh, mon esclave ! » m’interpelle-t-il, – alors que c’est lui qui l’est de moi –, « je viens de mon village et sur le député, on dit tout et son contraire. Pour certains, une fois élu et durant tout son mandat, il est irresponsable parce qu’il bénéficie de l’immu… hummm… Immu… ».
Je le repris en précisant « immunité ».
Il souffle en disant « voilà, immunité. Alors que d’autres soutiennent que malgré ce statut, il existe des cas et situations où, il peut être responsable civilement et pénalement et répondre devant le juge pour des actes commis alors qu’il est toujours député ». C’est ce tohu-bohu que j’ai laissé chez moi et, ici, les journaux écrits nous embrouillent ainsi que les radios et surtout les réseaux sociaux. Comme vous êtes juriste, de surcroît constitutionnaliste et expert en droit parlementaire, aidez-moi à mieux comprendre ».
Posément, je lui tins la main et l’invitais à traverser juste la rue pour s’asseoir dans un café afin de déguster un Moka que seuls les Pulars ont le privilège de savourer les délices.
Je lui dis que tous les tenants de ces idées ont raison même s’il y a beaucoup de zones d’ombre à dissiper et beaucoup de sentiers à défricher pour emprunter le chemin de la clarté et l’espace de compréhension. Pour cela, il faut comprendre ce qu’on entend par responsabilité, par immunité et par mise en œuvre de l’immunité.
1 – La notion de responsabilité*
Être responsable en droit, c’est répondre de ses actes (du latin respondere, « répondre, se porter garant » et en assumer les conséquences.
L’Etat de droit, qui est celui dans lequel tout le monde est soumis au droit de la société en commençant par l’Etat lui-même, ses institutions et les populations, a pour effet de définir les compétences, les attributions et les limites des différents dépositaires de l’autorité publique que leur a confiée le Peuple souverain.
Le fondement constitutionnel du principe de responsabilité publique se trouve dans 15 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 qui dispose que « La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ».
A l’énoncé de cette disposition, il sursauta en me disant : « donc ce n’est pas le Sénégal, mais un texte français qui prévoit cela pour nous africains et en plus, ce n’est même pas dans la Constitution mais dans son préambule ». A la suite d’une petite lampée que mon palet avale délicatement pour savourer la caféine, je lui souris en lui disant que, certes ce texte est d’inspiration française, mais les principes et valeurs qu’il porte sont universels. En plus, le peuple sénégalais a toujours déclaré son adhésion à cette Déclaration contenue dans le Préambule de Constitution qui est devenu partie intégrante de celle-ci. Dès lors, les instruments énoncés dans le Préambule ont la même valeur constitutionnelle que les dispositions constitutionnelles stricto sensu. Et le Conseil constitutionnel sénégalais n’a de cesse de le rappeler et c’est ce qu’on désigne sous le vocable de bloc de constitutionnalité.

Au-delà de cette précision, la responsabilité des parlementaires est la conséquence du principe de la souveraineté nationale qui doit être le support logique de la responsabilité des gestionnaires publics depuis le chef du pouvoir exécutif jusqu’à l’employé le plus bas de l’administration, depuis le Président de l’Assemblée nationale jusqu’au député et à l’élu local. Tous, en effet, ne sont que des délégués temporaires, les mandataires occasionnels du Peuple et des populations.
Sans cette responsabilité dans leur gestion et à travers leurs actes commis pendant l’exercice ou en dehors de leurs fonctions, la République perdrait une pièce essentielle de l’Etat de droit et serait remplacée par la Royauté ou l’Aristocratie avec le retour du dogme « le Roi (l’Etat) ne peut mal faire, encore moins faire mal », repris du droit anglo-saxon « the king cannot wrong ».
Toutefois, la responsabilité du député ne peut pas, à tout moment, être engagée comme s’il s’agissait d’une personne ordinaire. Au-delà de sa personne, le parlementaire est un Représentant du Peuple souverain. Comme tel, il est une institution. C’est pourquoi, pour engager sa responsabilité, le droit distingue sa personne du mandat qu’il exerce. En tant que personne, le député n’est pas au-dessus des lois et sa responsabilité, aussi bien civile que pénale, peut être recherchée devant les juridictions de droit commun. Mais, en tant qu’institution, dans certains cas d’espèce, il faudra respecter certains mécanismes et une certaine procédure. Et c’est là qu’intervient l’immunité.
2 – L’immunité
Mon cher, il faut bien garder à l’esprit deux choses :
• D’abord, l’immunité parlementaire est une disposition du statut des parlementaires qui a pour objet de les protéger dans le cadre de leurs fonctions, des mesures d’intimidation venant du pouvoir politique ou des pouvoirs privés et de garantir leur indépendance et celle du Parlement. Si elle offre effectivement une certaine protection aux membres de l’Assemblée nationale, l’immunité parlementaire ne leur offre pas une impunité totale, contrairement à une opinion courante, surtout chez vous les sérères, qui ferait croire que face à une menace ou une situation délicate, le député peut user allégrement d’une arme sans souci aucun.
D’ailleurs, un autre cousin mais Saloum-saloum et ancien député, Babacar Gaye, disait à ce propos que « l’immunité parlementaire ne signifie pas une licence à tout faire et à tout dire et c’est une banalité que de savoir qu’en cas de flagrant délit le député est traité comme tout justiciable normal ». Toutefois, comme il le précise et je suis en accord avec lui, ce point de vue mérite d’être analysé outre mesure.
• Ensuite, l’immunité parlementaire prévue par la Constitution du Sénégal revêt deu…