INTRODUCTION D’un point de vue strictement juridique, la fonction de Premier ministre n’est pas seulement théorique. Il n’est pas simplement un primus inter pares, le premier des ministres. Le locataire du « Petit Palais » dispose de pouvoirs propres que lui confère la Constitution du 22 janvier 2001. Les ministres sont nommés sur sa proposition (article 49). La politique de la Nation est conduite et coordonnée sous sa direction ; il est le chef du gouvernement et de l’administration ; il nomme aux emplois civils ; dispose du pouvoir réglementaire ; assure l’exécution des lois ; préside les conseils interministériels et les réunions interministérielles ou désigne, à cet effet, un ministre.
1 . La démission ou la cessation des fonctions de Premier ministre entraîne celle de l’ensemble des membres du Gouvernement. Pour toutes ces raisons, le Premier ministre encourt une double responsabilité devant le Président de la République et devant l’Assemblée nationale
2 . Le Premier ministre a également des attributions consultatives, de proposition
3 . Il intervient dans la procédure législative ordinaire
4 et peut proposer au Président de la République de réunir l’Assemblée nationale en session extraordinaire (article 63 alinéa 5).
On comprend aisément dans ces conditions l’enjeu de cette réforme constitutionnelle. A l’initial, dans le projet, vingt- deux(22) articles de la Constitution seront abrogés et remplacés. Il s’agit en réalité de vingt-trois (23) articles. Par une erreur technique, 63 alinéa 5 ne figurait pas dans le projet de loi déposé à l’Assemblée. Cette disposition donne la possibilité au Premier Ministre de proposer au Président de la République la convocation de l’Assemblée nationale en session extraordinaire5 . Pour l’essentiel, il s’agit d’extraire, du texte constitutionnel, le chef du Gouvernement qui dirige, donne des instructions, anime et assure la coordination de l’activité gouvernementale. Au Niger, avant son entrée en fonction, le Premier
1Voir les articles 53 à 57 de la Constitution du 22 janvier 2001. 2Dans cette hypothèse, il reçoit des questions écrites et orales (article 85) ; peut décider de poser la question de confiance sur un programme ou une déclaration de politique générale ; engager la responsabilité du Gouvernement sur un projet de loi de finances (article 86) ; être entendu, au même titre que les autres membres du Gouvernement, par l’Assemblée nationale et par ses commissions (article 81). 3 Il est consulté par le Président de la République en cas de dissolution de l’Assemblée nationale (article 87) et de soumission de tout projet de loi constitutionnelle au référendum (article 51). Il a la faculté de proposer au Président de la République une révision constitutionnelle (article 103). Le Président de la République nomme les ministres, fixe leur attributions et met fin à leur fonction sur la proposition du Premier ministre (article 49 alinéa 2). 4 Ainsi, il peut demander de délégaliser les textes législatifs intervenus dans le domaine réglementaire (article 76) ; il a l’initiative des lois (article 80) ; le droit d’amendement (article 82). Le Chef du Gouvernement peut opposer l’irrecevabilité s’il apparaît au cours de la procédure législative qu’une proposition ou un amendement n’est pas du domaine de la loi (article 83). L’inscription, par priorité, à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale d’un projet ou d’une proposition de loi ou d’une déclaration de politique générale devient de droit si le Premier ministre en fait la demande (article 84). 5 Un amendement a été déposé le mardi 30 avril lors du passage du Ministre de la Justice en commission technique pour supprimer, l’expression « Premier Ministre », du projet de révision. 2
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Ministre prête serment devant l’Assemblée nationale, sur le Livre Saint de sa confession ; il détermine et conduit la politique de la Nation, dispose de l’administration et de la force publique aux termes des articles 74 et 76 de la Constitution du 25 novembre 2010. Le Premier ministre dans l’ordonnancement constitutionnel est donc l’échelon de relais et de transmission des directives présidentielles. Quelles sont alors les justifications et les orientations du projet de révision de la Constitution ? Avec la suppression du poste de Premier ministre, comment appréhender l’ossature de l’exécutif et les rapports entre le Gouvernement et le Parlement ? La réforme prend- elle en compte toutes les exigences d’un régime présidentiel afin de garantir l’équilibre des pouvoirs ? Quelles sont les insuffisances et les limites de la réforme en termes de politique constitutionnelle ? Ces questions contiennent bien des intérêts. On est en face d’une réforme d’exception pour au moins deux raisons. D’une part, le régime présidentiel n’est pas la règle dans le monde. Le régime le plus répandu est le régime parlementaire. D’autre part, la réforme a été enclenchée selon une procédure qui déroge au droit commun (la voie parlementaire) de la révision de la Constitution (voie référendaire). Le projet est inscrit de droit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale et discuté en procédure d’urgence. Il s’agit d’une révision constitutionnelle en mode « fast track » qui aura des incidences budgétaire et administrative. Le fondement de la révision constitutionnelle est indiqué dans l’exposé des motifs du projet de révision. En raison du passage du septennat au quinquennat, le Président de la République dispose d’un temps court pour mettre en œuvre les politiques publiques. Il est recherché plus de célérité, d’efficacité et d’efficience de l’action gouvernementale. Le Président de la République se place au contact direct des niveaux d’application. Pour atteindre ces objectifs, le présent projet de révision «instaure un régime présidentiel caractérisé par un pouvoir exécutif rationnalisé avec notamment la suppression du poste de Premier Ministre ». Selon le législateur constituant, il « en résulte un réajustement des rapports entre les pouvoir exécutif et législatif ». Évidemment, cette réforme nous plonge dans le passé. Le « fast track » fut avancé lors de la suppression du poste de Premier ministre en 19836 . On tentera de présenter le contenu du projet de révision (I) et les insuffisances de la réforme
(II). I Le contenu du projet de réforme
Le régime présidentiel annoncé dans le projet de révision de la Constitution fonctionne sur la base de deux principes fondamentaux : un exécutif monocéphale (A) et une irrévocabilité mutuelle (B)
A Un exécutif monocéphale annoncé
La suppression du poste de Premier ministre entraîne plusieurs conséquences juridiques dont la plus visible est la physionomie, désormais monocéphale, de l’exécutif. Cela signifie que le pouvoir exécutif est dévolu exclusivement au Président de la République. Le Président de la République est l’Exécutif, tout seul. C’est ce qui ressort des dispositions de la Constitution des Etats-Unis : « Le pouvoir 6 La Loi n° 83-55 du1 er mai 1983 portant révision de la Constitution avait eu pour « objet de permettre une plus grande efficacité dans l’administration de développement nécessaire à notre pays ». 3 exécutif sera conféré à un président des États-Unis d’Amérique… 7 ». Le constituant ivoirien est beaucoup plus explicite sur le caractère monocéphale de l’exécutif : « le Président de la République est le détenteur exclusif du pouvoir exécutif. 8 Au Tchad, « le pouvoir exécutif est exercé par le Président de la République9 .». Il est chef de l’Etat, chef du Gouvernement et de l’Administration. A ce titre, il détermine et conduit la politique de la Nation10 . Au Bénin, « Le Président de la République est le détenteur du pouvoir exécutif. Il est le chef du Gouvernement, à ce titre, il détermine et conduit la politique de la Nation…11 ». On retrouve les même…