Leur tunique bouffante, qui rappelle Serigne Abdoul Ahad montre à suffisance leur ancrage dans la tradition mouride. Mais cet attachement aux valeurs qui fondent la confrérie n’empêche pas au Dahira Hizbut Tarquiyyah d’être très imprégné des avancées de la technologie en atteste le puissant groupe de presse numérique. Dans leur fief à Touba, l’organisation, la rigueur et la discipline ne laissent aucun visiteur indifférent.
De loin, on aperçoit des enclos de moutons, de l’autre côté, les ouvriers s’attèlent à différentes tâches pendant que les techniciens du son sont à pied d’œuvre dans les installations et les balances. Les va-et-vient, les réunions se multiplient, difficile de coincer un responsable. C’est finalement Mourtala Sèye qui nous accueille. Un petit briefing en attendant que le responsable moral M. Atou Diagne nous accueille dans son bureau. «Cette institution était une simple Dahira, créée en 1976 et appelée à l’époque Dahira des Etudiants mourides. C’est en 1980 qu’on est devenue une Daara. C’était la migration d’un phénomène de civilisation et une œuvre e civilisation. L’objectif était, en tant qu’étudiant de prouver notre attachement au mouridisme et d’œuvrer pour Serigne Touba. Il faut dire qu’à l’université on était formés dans différentes branches. Il fallait concilier la formation moderne et assimiler nos valeurs culturelles mourides basées sur une référence comme Cheikh Ahmadou Bamba », dit-il.
Très tôt, le Dahira a compris qu’il fallait apprendre à voler de ses propres ailes. Aujourd’hui, les membres disposent d’un périmètre de plus de 8 hectares où se trouvent une grande mosquée, un institut franco-arabe, des locaux qui abritent le groupe de presse, des résidences, des bureaux, des habitations pour les pensionnaires. «Nous étions déterminés à réussir », dit Atou Diagne. Dans cette quête d’autonomie, le Dahira a très tôt pris les devants sur tout ce qui entre dans les préparatifs du Magal. «Notre objectif de toujours c’est de faire en sorte que le Magal soit célébré selon les recommandations du Cheikh. Mais nous ne sommes qu’une partie du dispositif », relativise-t-il. Avec des besoins énormes en nourriture notamment, les devants sont pris et les préparatifs durent en réalité une année et commencent dès le lendemain du Magal. Selon Serigne Mourtala Sèye, un des responsables, chaque année, plus de 10 000 poulets étaient commandés à la Sédima. « Mais, dit-il, elle nous a suggéré de créer nos propres poulaillers. Dès la première expérience, nous avons constaté de grosses économies. Depuis, après chaque Magal, nous commençons le processus par des bandes de 1500 à 2000 poulets que nous stockons dans nos chambres froides. Parallèlement, nous avons des chameaux et des vaches qui sont entretenus par des bergers que nous employons », explique-t-il.
Selon M. Atou Diagne, c’est cette quête d’autonomie qui a fait la force de ce mouvement. Parce que dit-il, « nous avons compris que vivre de subventions, d’aide, c’est vraiment contraire à ce que l’islam a donné comme éducation. L’Islam ne donne jamais une promotion à quelqu’un sans l’avoir éprouvé au préalable. Il éduque dans la difficulté. Nous avons construit des mosquées, sans demander de l’aide à qui que ce soit, ni au gouvernement encore moins à la communauté mouride », précise-t-il.
Le numérique au cœur du dispositif
Essentiellement composé d’intellectuels, le Dahira Hizbut Tarquiyyah a la chance d’avoir eu des responsables très avertis qui ont très tôt compris que le numérique allait être incontournable. «On a eu la chance d’avoir été avant-gardiste pour tout le Sénégal. Nous n’avons pas commencé par l’internet. Au Sénégal nous avons été les premiers à mettre en place un serveur grand public. La Sonatel n’avait pas un système de gestion qui pouvait assurer notre stock. Nous avons obtenu la licence vers 1987. De télématique, on est venu à internet. Il nous fallait ensuite penser à un système plus planétaire, c’était l’internet. Quand on a payé pour la première fois 9 millions de matériels informatiques vers les années 86, c’était grandiose, les gens n’avaient pas compris. Ça faisait peur alors que c’était un besoin réel, né d’une activité que nous menons. Aujourd’hui, c’est ce que nous permet d’avoir ce que nous avons comme média », explique Atou Diagne. Aujourd’hui le groupe dispose d’une télévision appelée Al Mourridiyya TV disponible à travers le monde en français, en Arabe et en anglais. «Les gens regardent à travers le monde et à partir d’ici nous savons qui se connecte, à partir de quel support…Nous cherchons constamment à nous moderniser. On ne peut pas créer un centre culturel, sans avoir un département audiovisuel, sans avoir un journal. Nous avons été les premiers à disposer d’un site internet dans le mouridisme », salue-t-il.
La recherche pour vulgariser l’œuvre du Cheikh
Aujourd’hui, pour vulgariser l’œuvre du Cheikh, le Dahira Hizbut Tarquiyyah a accordé une place de choix à la recherche. C’est tout le sens de la création de l’IIERM (Institut International d’Etudes et de Recherche sur le mouridisme) qui est logé dans les locaux du Dahira. «A l’occasion du Magal, on monte des vidéos qu’on publie, les gens reprennent pour les revendre ailleurs, sans contrepartie, on rend grâce à Dieu. On a un besoin de véhiculer, d’informer en formant nos membres. Parce que selon Atou Diagne, c’est l’Islam même qui dit que «tu ne peux pas adorer correctement si tu ne connais pas ». «On est venu de loin, on a besoin de connaitre et les gens ont besoin de savoir ce qu’on a pu découvrir. Donc l’information est devenue un droit pour tous. La base c’est la connaissance et elle passe par la recherche. Pour prendre l’exemple du Cheikh, son exil, ses épreuves, ce n’est pas du Coran, mais les gens ont besoin de savoir pour comprendre. Grâce à notre institut de recherche nous avons créé nos propres centres culturels et à partir de celui de Dakar, nous avons créé des centres aux Etats-Unis, en Europe, au Canada, en Afrique…et tout ça nous le faisons avec nos propres moyens », se réjouit-il.
Soleil Oumar FEDIOR