Dans le souci de renforcer la démocratie sénégalaise, la Constitution, dans son article L 58, garantit à l’opposition un statut qui lui permet de s’acquitter de ses missions. La loi « définit ce statut et fixe les droits et devoirs y afférents ainsi que ceux du chef de l’opposition ». L’adoption d’une telle disposition nécessite le dialogue entre toutes les parties prenantes. Pour les responsables de la mouvance présidentielle, cela fait la pertinence de l’appel à des concertations lancé par le président de la République, suite à la proclamation des résultats définitifs de l’élection présidentielle. Mais une frange importante de l’opposition qui n’a visiblement pas encore bouclé le chapitre du scrutin du 24 février, est partagée entre le rejet, la méfiance et le silence.
Le statut de chef de l’opposition a depuis longtemps fait l’objet d’une réflexion au Sénégal, mais sa concrétisation tarde. Pourtant, la Constitution sénégalaise accorde une place institutionnelle aux leaders de partis qui s’opposent à la politique du gouvernement. La loi constitutionnelle numéro 2016/10 du 5 avril 2016 consacre le statut de chef de l’opposition. Adoptée lors du référendum du 20 mars 2016, la Constitution, à son article L58, garantit aux partis politiques qui s’opposent à la politique du gouvernement le droit de le faire. Avant la réforme constitutionnelle de 2016, la loi fondamentale de 2001 a aussi reconnu à l’opposition des droits. Mais l’ancien président Abdoulaye Wade, qui avait pourtant beaucoup réfléchi sur la question après avoir été opposant pendant 26 ans, n’a pas pu codifier ce statut qui semble s’imposer aujourd’hui avec la pléthore de leaders de l’opposition sur le terrain politique. Sous le régime d’Abdou Diouf, ce statut n’a pas été consacré, mais le chef de l’opposition était connu de tout le monde. Abdoulaye Wade, farouche opposant du premier président de la République, Léopold Sédar Senghor puis du Président Abdou Diouf, était de fait le chef de file de l’opposition, selon nombre d’observateurs du terrain politique d’alors. Et pour cause, le Pds, la formation politique qu’il a créée en 1974, arrivait toujours deuxième derrière le Parti socialiste lors des élections présidentielles, législatives ou locales. Mieux, Abdoulaye Wade était au cœur de toutes les mobilisations politiques de l’opposition d’alors. Il a été emprisonné à plusieurs reprises.
C’est à cause de la place qu’il occupait qu’Abdou Diouf avait fait de lui son principal interlocuteur au sein des forces de l’opposition. Ce choix n’a jamais été remis en cause par Landing Savané (Aj/Pads), Abdoulaye Batihliy (Ld/mpt), Amath Dansokho (Pit) et les autres figures de l’opposition d’alors. D’ailleurs, pour venir à bout du régime socialiste, ces leaders se sont rangés derrière Me Wade en 2000 pour venir à bout du régime socialiste, après 40 d’exercice du pouvoir.
Aujourd’hui, les données ont changé. Aucun leader de l’opposition ne peut se prévaloir d’une suprématie sur les autres. A l’Assemblée nationale, le Pds et ses alliés sont majoritaires. Du coup, le statut de chef de l’opposition leur revient si le critère de choix est basé sur le nombre de députés au parlement comme cela se fait en Angleterre. Dans ce pays, la fonction est occupée par le chef du principal parti politique qui n’est pas au gouvernement. Ce qui correspond habituellement au deuxième parti le plus représenté à la Chambre des communes. Ainsi, il est considéré comme un Premier ministre alternatif. Ce poste créé en 1807 n’a été officialisé qu’en juillet 1937. Mais le parti de l’ancien Président Wade ne peut pas revendiquer une majorité si le critère de choix est basé sur les résultats à l’élection présidentielle.
Le Pds ayant boycotté le scrutin, Idrissa Seck, à la tête d’une coalition composée de plusieurs personnalités du landernau politique, est arrivé deuxième derrière le président sortant Macky Sall avec 20,5 %. D’où la nécessité pour les acteurs politiques de se concerter pour définir les modalités de désignation du chef de l’opposition, identifier ses droits et ses missions.
Babacar DIONE
L’opposition entre silence et méfiance
Le silence et la méfiance sont de mise du côté des partis de l’opposition sur la question liée au statut de chef de l’opposition.
Les partis de l’opposition semblent opter pour le silence ou la méfiance depuis que le président de la République a lancé un appel au dialogue politique. « Nous n’avons pas inscrit cette thématique dans notre agenda. Nous considérons qu’un débat de cette nature n’est pas d’actualité. Le moment opportun, nous vous donnerons notre point de vue », a souligné un membre de la cellule communication du parti Pastef qui a réalisé une percée lors du scrutin du 24 février 2019, poussant certains à attribuer le titre de chef de l’opposition à son leader, Ousmane Sonko.
C’est la même position qui est défendue à la coalition «Idy 2019» où les militants refusent de donner de l’importance à ce qu’ils considèrent comme de la « diversion ». « Ce débat ne mérite pas d’être soulevé, nous sommes plus portés sur des priorités majeures. Ce n’est que pure diversion, et nous n’allons pas tomber dans ce jeu », déclare l’un des membres de la coalition dirigée par Idrissa Seck.
Pour autant, ces acteurs de l’opposition consentent à dire qu’il faut éviter de poser des actes qui fragilisent la démocratie sénégalaise. Ces mêmes voix invitent à la réflexion sur la nature de l’opposition, sa quantification, surtout que la dernière révision de la constitution aide à activer, selon les acteurs politiques, des leviers du changement en évoquant le renforcement des droits de l’opposition et de son chef. Le secrétaire exécutif de la Plateforme des acteurs de la société civile pour la transparence des élections (Pacte), Djibril Guingue, rappelle, à cet effet, que la Constitution de 2016 prévoit ce statut, même si aucune disposition légale n’a été encore prise pour indiquer celui qui doit être le chef de l’opposition.
Pour l’ancien ministre libéral Doudou Wade, membre du comité directeur du Parti démocratique sénégalais (Pds), il n’y a plus lieu de disserter sur la question ou de développer des théories surtout que la messe est déjà dite. « Le professeur Ismaela Madior Fall a déjà désigné, de son pouvoir, le chef de l’opposition. Il a donné son nom, son âge, ses filiations et même son adresse. Tel un décret divin, il a déjà prononcé le verdict, le débat est clos, je ne pense plus qu’il soit nécessaire de discuter davantage », ironise-t-il lors d’un entretien téléphonique.
Oumar Sarr, coordonnateur du Pds, n’a pas versé dans la langue de bois. Il estime, dans un entretien avec Source A, que cette question ne mérite pas d’être à l’ordre du jour et soutient qu’il y a au moins, « cinq bonnes raisons qui font que nul ne peut désigner, à partir de la présidentielle, le chef de l’opposition. Parmi celles-ci, figurent la non-participation du Pds, l’absence des candidats importants comme Khalifa Ababacar Sall et Karim Wade, la contestation des résultats du scrutin du 24 février par l’opposition ».
Dans l’interview accordée aux confrères du journal «Enquête», le garde des Sceaux, ministre de la Justice, Ismaela Madior Fall, souligne que « le pouvoir ne peut pas, de façon unilatérale, définir le statut de l’opposition et de son chef. Après, il y a un problème pratique qu’il faudra régler. Est-ce que nous allons faire un statut de l’opposition parlementaire ou un statut de l’opposition nationale ? Si c’est l’opposition parlementaire, le chef de l’opposition devrait être un parlementaire. Si c’est l’opposition nationale, on pourrait envisager que celui qui est arrivé deuxième à la présidentielle soit le chef de l’opposition ».
Matel BOCOUM
DIARRA DABO DIAW, JURISTE : «Définir clairement les contours»
La juriste Diarra Dabo Diaw salue la loi constitutionnelle qui permet de renforcer les droits de l’opposition et de son chef. Elle appelle, toutefois, à ce que ce statut soit défini clairement.
A travers la loi constitutionnelle n°2016-20 du 05 avril 2016, le Sénégal a émis le souhait d’officialiser le «renforcement des droits de l’opposition et de son chef ». Ce point figurait en bonne place parmi les 15 réformes proposées au référendum du 20 mars 2016. D’après la juriste Diarra Dabo Diaw, 58 prévoit : «La Constitution garantit aux partis politiques qui s’opposent à la politique du gouvernement le droit de s’opposer. La Constitution garantit à l’opposition un statut qui lui permet de s’acquitter de ses missions. La Constitution définit ce statut et fixe les droits et devoirs y afférents ainsi que ceux du chef de l’opposition ». La juriste salue cette « avancée démocratique » du Sénégal. Toutefois, elle rappelle que la Constitution reste muette sur la définition du statut de l’opposition et de son chef. « Pour pallier ce vide juridique et assurer une mise en application effective de la disposition sus indiquée, laquelle n’a fait que fixer les principes généraux, il sied au président de la République de définir clairement les contours du statut du chef de l’opposition en étroite collaboration avec les forces de celle-ci afin de mettre en place une plateforme politique adaptée », renchérit Mme Diaw. Pour elle, seul un «accord préalable autour des critères et normes de désignation du chef de l’opposition faciliterait la situation ». Ce choix, admet-elle, doit se faire sur la base de la présidentielle car ce scrutin « respecte le mieux la volonté des populations ».
Cependant, la juriste pose la question de savoir à quel leader de l’opposition doit revenir ce titre, étant donné que tous les candidats à la présidentielle du 24 février dernier sont partis sur la base de fortes coalitions regroupant plusieurs partis politiques. Même si on prend les élections législatives, dit-elle, seul le Parti de l’unité et du rassemblement (Pur) du Pr Issa Sall était parti seul demander les suffrages des Sénégalais. C’est pourquoi, rappelle-t-elle, le candidat du Pur a toujours réclamé le statut du chef de l’opposition car le Pur était le parti de l’opposition ayant le plus de sièges (trois députés) à l’Assemblée nationale. Tous les autres partis ont des représentants à l’Hémicycle grâce aux coalitions. En se basant sur la dernière présidentielle, elle renseigne que le candidat qui est arrivé deuxième doit être désigné chef de l’opposition car, « même le vainqueur est parti sur la base d’une coalition de partis ». Ce choix fait, Mme Diaw indique que « le chef de l’opposition doit se porter garant de rapporter le lot de critiques ou de suggestions devant l’exécutif ». « Il sera l’interlocuteur attitré du pouvoir exécutif. Ainsi, il aura une carte blanche pour solliciter du gouvernement des rencontres afin de lui soumettre des suggestions et autres propositions dans le sens du fonctionnement de l’appareil étatique », explique-t-elle.
Aliou Ngamby NDIAYE
MAME LESS CAMARA, ANALYSTE POLITIQUE : «La fonction doit revenir au chef de l’opposition parlementaire»
Le journaliste spécialisé en politique et formateur, Mame Less Camara, pense que le parti qui peut porter la voix de l’opposition se trouve à l’Assemblée nationale. Il s’agit donc du chef de l’opposition parlementaire.
La matérialisation du statut du chef de l’opposition a été agitée. Quelle lecture en faites-vous ?
C’est une vieille question agitée depuis les années 90. Il y avait des travaux dans ce sens que le président Abdou Diouf avait confiés à un professeur de droit dont j’ai oublié le nom. Des propositions avaient été faites mais elles étaient arrivées un peu trop tard puisque c’était en 1999, au moment où Diouf s’apprêtait à perdre le pouvoir. Cela dit, il me semble que le statut du chef de l’opposition, ce n’est pas à l’opposant le plus présent, c’est un décompte électoral. Je pense que cela se règle à l’Assemblée nationale. Quel est le parti le plus représenté à l’Assemblée nationale parmi les partis de l’opposition ? Parce que le débat permanent, c’est à l’Assemblée nationale. Si quelqu’un arrive deuxième à une présidentielle et l’on veuille lui donner le statut du chef de l’opposition, ça ne tient pas. Le terrain d’intervention permanent de l’opposition, en démocratie, c’est l’Assemblée. Le parti qui peut, sur toutes les lois et de façon permanente durant une législature, porter la voix de l’opposition, doit être à l’Assemblée. Il ne faudrait pas que celui qui arrive deuxième, le temps d’une présidentielle, soit élevé au grade de chef de l’opposition. Il me semble que le Pds a plus de députés que les autres paris de l’opposition. Il doit donc être le chef de l’opposition.
Et quelles doivent être les prérogatives du chef de l’opposition ?
Cette question doit être discutée. Il y a des travaux qui sont faits, ce qui constitue un fond de dossier. Maintenant, ceux qui doivent discuter, ce sont les parties prenantes qui participent aux élections en tant que formations politiques. C’est à eux qu’il revient de discuter en toute sérénité et que l’on ne mette pas en avant l’aspect matériel (il aura une voiture, un chauffeur, une secrétaire, etc.). Ce n’est pas ça qui est important. La posture du leader de l’opposition doit se construire autour de l’accès aux dossiers, de l’écoute du pouvoir.
En Angleterre, par exemple, où le statut de l’opposition est institutionnalisé, on a un cabinet fantôme. Est-ce qu’on peut en arriver à ce stade au Sénégal ?
Sans copier ce qui se fait en Angleterre, vous savez que les Anglais sont très particuliers en ce qui concerne le respect des droits, nous ne sommes pas encore à ce niveau-là. Nous avons une élection, deux élections et puis on décide qu’on est hyper démocratique. Nous sommes en-deçà de la moyenne démocratique. Il faut, aujourd’hui, que le chef de l’opposition ait accès aux documents, soit consulté avant certaines décisions. C’est comme cela que, petit à petit, s’installe une tradition démocratique, de transparence et de consultation. Mais encore une fois, il ne faudra pas en faire une victoire du vaincu sur le vainqueur. Il n’a pas eu de pouvoir mais un sous pouvoir. Le « shadow cabinet » (cabinet fantôme), pour moi, au Sénégal, c’était la grande déception après la défaite de Diouf. Je croyais que le Ps, qui a dirigé le pays depuis longtemps et qui connait tous les secteurs, avait la possibilité de mener une opposition documentée, forte et pertinente. Malheureusement, on a vu qu’avec le phénomène de la transhumance, il n’y a pas eu cette confrontation d’idées, de savoir et d’expérience. Les gens, comme toujours, se sont empressés de transhumer et la transhumance tue le principe d’un chef de l’opposition et de son statut. S’il y a transhumance, il est inutile de chercher un statut du chef de l’opposition. Les gens, très souvent, ne s’opposent pas véritablement. Ils tentent leur chance et si ça ne marche pas, ils transhument.
Et que devra être le traitement salarial du chef de l’opposition ?
Il ne doit pas y avoir de salaire pour un chef de l’opposition. Je trouve que ce serait honteux de salarier ce poste-là. C’est une fonction honorifique. Qu’il lui soit facilité son travail autrement que par l’octroi d’une énième caisse noire dans le jeu politique sénégalais. S’il a besoin de secrétaire, de voitures, de moyens de travailler, on les lui octroie ; mais sa comptabilité doit être extérieure. S’il voyage, on peut lui donner un pécule raisonnable. Il y a, par exemple, un gestionnaire du budget alloué au chef de l’opposition. S’il a besoin de réunion, de voyage, quand c’est justifié, on lui crée les conditions pour qu’il puisse avoir un billet d’avion, loué une salle de réunion, bref que ses charges de chef de l’opposition ne le privent en rien de ses propres revenus. Je trouve que ce sera dommage, et ce serait donner raison à ceux qui considèrent la politique comme un jeu d’argent tout simplement, que de salarier un leader de l’opposition. Nous sommes un pays pauvre et même si nous ne l’étions pas, il n’y a aucune raison pour que le Trésor public débourse de l’argent liquide à mettre mensuellement entre les mains de quelqu’un. Sinon cela devient une complicité au sommet et non pas une confrontation politique loyale.
Il y a des personnes qui pensent que le chef de l’opposition consacré peut représenter le chef de l’Etat à certaines manifestations aussi bien au niveau national qu’au niveau international. Qu’en pensez-vous ?
Non. Ça, c’était une fantaisie de Me Wade. Il était totalement enivré par sa victoire sur Diouf, dans le désordre le plus total, il prenait des initiatives assez euphoriques. L’administration est dirigée par l’exécutif et si le président a besoin d’être représenté, il peut l’avoir sur le plan administratif, dans la hiérarchie des hommes et des femmes qui dirigent ce pays. Si c’est sur le plan politique, il peut puiser dans son parti et l’opposition s’oppose. Il faut vraiment qu’on s’entende, si ce dialogue doit avoir lieu, sur la notion d’opposition. L’opposition doit être informée pour des raisons de transparence et de démocratie mais l’opposition doit être de l’autre côté. Maintenant, il peut y avoir des passerelles mais dans la vérité et la transparence. Que le président envoie son principal opposant pour le représenter je ne sais où, je trouve que c’est folklorique.
Propos recueillis par Aly DIOUF
La mouvance présidentielle privilégie le consensus
La matérialisation du statut du chef de l’opposition, rappelée par le chef de l’Etat récemment, intéresse au plus haut degré la classe politique. Pour la mouvance présidentielle, le choix doit se faire dans le consensus.
La démocratie sénégalaise est arrivée à un niveau qui lui permet d’avoir un chef de l’opposition, comme c’est d’ailleurs consacré par la Loi fondamentale lors du référendum du 20 mars 2016, estime Moussa Sarr de la Ligue démocratique. Il faut donc matérialiser cette disposition de la Constitution, qui crédibilise l’opposition et apaise le jeu démocratique, ajoute-t-il. Cette position est partagée par le porte-parole du Parti socialiste (Ps).
Abdoulaye Wilane rappelle que sa formation politique a activement participé à la campagne pour le référendum qui a, entre autres, consacré le statut de l’opposition. « On peut servir son pays en étant au pouvoir comme dans l’opposition », estime-t-il. Pour le coordonnateur de la cellule de communication de « Benno Bokk Yaakaar », Pape Mahawa Diouf, la concrétisation de cette loi va participer à élever le niveau de notre démocratie mais aussi à en faire une démocratie apaisée, comme c’est le cas dans certains pays scandinaves. Dans tous les cas, souligne M. Diouf, il faut un large consensus sur la question. Les prérogatives du chef de l’opposition seront précisées dans le cadre de la loi, poursuit-il. Moussa Sarr de la Ld estime que « le président de la République ne peut, à lui seul, décider de qui sera le chef de l’opposition ».
Pour Abdoulaye Wilane, le contenu du statut du chef de l’opposition ne doit pas être défini par une seule sensibilité ou une seule mouvance. « Les critères comme les modalités doivent faire l’objet de consensus », précise le socialiste. Parvenir au consensus au cours d’un débat, « c’est le plus difficile dans cette entreprise », pense-t-il. Les enjeux que soulèvent cette question et le prestige qui entoure ce statut, soutient Mor Ngom de l’Apr, laissent augurer le caractère ardu du débat et les crispations, voire des affrontements qu’il nourrit. Dans tous les cas, soutient-il, le dialogue reste une nécessité impérieuse qui ne devrait pas simplement se limiter à la sphère politique. « Il faut, à mon avis, un dialogue national avec toutes les forces vives de la nation pour échanger voire décider de toutes les grandes questions d’intérêt national, ce qui est la source première de stabilité et de consolidation de notre démocratie », souligne Mor Ngom. Ces discussions pourront permettre de définir les missions et autres prérogatives du chef de l’opposition. D’autant plus que, précise M. Ngom, aucune loi n’a été votée permettant de préciser les prérogatives et les avantages de celui qui sera chef de l’opposition. La question est d’autant plus difficile à traiter que rien de précis n’a été dégagé pour permettre de décider de la personnalité qui devrait l’incarner.
Dans tous les cas, fait remarquer Mor Ngom, l’opposition doit être une force de proposition d’idées et de mesures, et non une source de démotivation des dynamiques constructives de notre nation. De son point de vue, l’utilité de la désignation du chef de l’opposition permet d’éviter les sorties intempestives. Selon lui, cela donne plus de tonus aux déclarations. La fonction permet aussi de mettre en exergue les démarches politiques allant dans le sens de la méthode et de l’organisation. Pour leur part, Abdoulaye Wilane, Pape Mahawa Diouf et Moussa Sarr estiment qu’avec ce statut, l’opposition pourra faire des propositions pour la bonne marche de la démocratie. La matérialisation du statut du chef de l’opposition permettra également au chef de l’Etat d’avoir un interlocuteur.
L’autre privilège induit par cette nouvelle disposition, c’est que, soutient Moussa Sarr, le chef de l’opposition doit avoir un cabinet fonctionnel et un traitement salarial digne de ce nom ; bref, il aura droit aux avantages de la République. Pour les interrogés, le chef de l’Etat pourra consulter le chef de l’opposition sur des questions nationales. Ce chef pourra également, poursuivent-ils, représenter le président à certaines rencontres nationales ou internationales.
A. DIOUF
AYMEROU GNINGUE, PRESIDENT DU GROUPE PARLEMENTAIRE Bby : «Le dialogue politique est le préalable à la définition du
statut de chef de l’opposition»
Le président du groupe parlementaire, “Benno Bokk Yaakaar”, souligne que la Constitution consacre le statut de chef de l’opposition. Mais une loi doit être votée pour encadrer cette disposition. C’est pourquoi, il estime, dans cet entretien, que le dialogue politique est nécessaire pour matérialiser ce statut.
Monsieur le président, quel regard portez-vous sur le débat relatif au statut de chef de l’opposition ?
Le statut de chef de l’opposition est consacré par la Constitution du Sénégal dans la loi constitutionnelle numéro 2016/10 du 5 avril 2016. Cette loi est consécutive au référendum du 20 mars 2016 où il est expressément affirmé que la Constitution garantit aux partis politiques qui s’opposent à la politique du gouvernement le droit de le faire. Il sera ainsi accordé au leader choisi au terme de la loi un statut qui lui permet de s’acquitter de ses missions. C’est une disposition de la Constitution du Sénégal qui définit ce statut, les droits et devoirs y afférents ainsi que ceux du chef de l’opposition. Il reste maintenant le vote de cette loi ; ce qui suppose naturellement l’instauration d’un dialogue préalable entre le pouvoir d’une part, et l’opposition d’autre part, pour s’entendre sur le contenu de ce statut et définir, sur une base concertée, les critères à partir desquels on va opérer le choix du chef de l’opposition. C’est pourquoi cette main tendue du président de la République, qui appelle à un dialogue large sur toutes les questions qui concernent le renforcement de l’Etat de droit et la consolidation de notre Etat démocratique, est une nécessité pour accorder, entre autres, notre pratique démocratique avec notre charte fondamentale qu’est la Constitution.
On note, cependant, la persistance d’une bonne partie de l’opposition dite significative dans une position de défiance face cet appel du président nouvellement réélu…
Il me plait de souligner que l’appel au dialogue et à une large concertation est une constante de la gouvernance du président Macky Sall. L’élection récente n’en est pas le vecteur car elle est l’une des élections présidentielles parmi les plus représentatives de l’expression populaire que nous avons connue pour avoir enregistré le taux exceptionnel de participation de plus de 66 % des inscrits. Le président de la République a été, quant à lui, élu au premier tour avec 58,26 % des suffrages dans un vote libre et serein. Passée la période de gesticulations qui suivent généralement les élections au Sénégal, je pense que la raison va finalement prévaloir dans les rangs des perdants pour qu’ils comprennent que la page du scrutin présidentiel est définitivement tournée. Les principaux acteurs doivent, cependant, en évaluer l’organisation en vue du perfectionnement continu de notre système électoral dont la fiabilité est reconnue par tous les observateurs nationaux et internationaux que personne ne peut soupçonner de complaisance à l’égard du gouvernement ou de l’actuelle majorité.
L’opposition semble méfiante. Comment faire pour instaurer la confiance entre les acteurs ?
Avec certains acteurs du landerneau politique, il ne se pose pas un problème de confiance, mais un problème de déni. Il est fort regrettable que d’aucuns aient encore de la peine à sortir de cet aveuglement forcené pour comprendre que le peuple sénégalais a acquis un niveau de maturité qui lui donne une capacité de discernement qui rend tout à fait inopérant ce mode dépassé de pratique oppositionnelle. Cette manière de s’opposer, fondée sur le déni et l’invective, a fait son temps. Les citoyens attendent davantage de respect de la part de ceux qui prétendent vouloir les gouverner. D’ailleurs, l’écart colossal entre les résultats du président Macky Sall et ses concurrents à la dernière élection du 24 février devrait, à mon avis, les faire plutôt réfléchir sur le décalage entre les malheurs qu’ils professent et l’état d’esprit réel des citoyens qui, manifestement, se reconnaissent, dans leur écrasante majorité, dans les politiques actuelles du président de la République et de son gouvernement.
Ce qui ne signifie pas, pour autant, que le Président Macky Sall, comme il l’a indiqué après la proclamation officielle des résultats, n’en reste pas moins attentif à tous les enseignements qu’il convient de tirer de l’expression des citoyens de quelques bords qu’ils se situent ; étant entendu qu’au terme de sa réélection, il continuera de prendre en charge les aspirations au progrès de nos compatriotes et poursuivra, de la manière la plus vigoureuse, les réformes entreprises pour accélérer davantage la marche de notre pays vers l’émergence. C’est la claire conscience qu’il a justement de l’ampleur des défis à relever qui l’encourage à poursuivre la politique d’ouverture et d’inclusion qu’il mène depuis qu’il est à la tête de notre pays. Il est, cependant, utile de rappeler, à ce sujet, que les appels au dialogue et à la concertation que le Président Macky Sall n’a cessé de lancer depuis qu’il gouverne le Sénégal, sont adressés à toutes les forces vives de la nation.
Qu’est-ce que le statut de chef de l’opposition peut apporter de plus dans le renforcement de la démocratie ?
Il doit être compris par tous que dans une démocratie, une fois les choix citoyens exprimés, il est de la responsabilité de la majorité élue de conduire les politiques sur lesquelles les choix des citoyens sont majoritairement portées. C’est pour avoir engagé, avec efficacité, les réformes qui ont permis de transformer le Sénégal dans tous les domaines, lors de son premier mandat, que nos compatriotes ont renouvelé leur confiance au Président Macky Sall, lui conférant ainsi toute la légitimité requise pour continuer de gouverner notre pays dans la stabilité. Une démocratie est, toutefois, un système qu’on doit sans cesse améliorer et renforcer pour une société cvomme la nôtre qui a toujours envie de se parfaire. Et c’est pour toujours marquer sa volonté d’approfondir et d’enrichir notre expérience démocratique qui force le respect en Afrique et dans le monde que le Président Macky Sall, son parti et notre coalition marquent de l’intérêt pour toute innovation qui va dans le sens d’enrichir cette belle expérience qui est un réel atout et une grande fierté de notre nation. Un dialogue ouvert sur ce sujet et sur d’autres de même nature contribuera à raffermir notre belle expérience de démocratie apaisée.
Quel rôle pourrait jouer le parlement pour la mise en œuvre de la loi ?
Les lois sont votées par le parlement. Mais il faut que le dialogue s’installe entre les forces politiques pour trouver son prolongement à l’Assemblée nationale. Il est intéressant de noter que divers avis s’expriment déjà sur ce sujet. C’est pour l’instant un débat ouvert qui interpelle les acteurs et les citoyens. Notre majorité est, naturellement, en train d’élaborer son point de vue sur la question, et à l’arrivée, il appartiendra aux députés de décider du vote de la loi. Au regard de l’intérêt qu’il suscite, un consensus politique des acteurs permettrait de trouver un accord qui en ferait un texte consensuel que les députés n’auraient qu’à valider.
Le statut du chef de l’opposition sera déterminé en fonction du nombre de députés ou du nombre de voix engrangées lors des élections législatives ?
Encore une fois, il ne m’appartient pas de trancher ces questions qui doivent faire l’objet de discussions dans les partis de la majorité comme de l’opposition. Il serait même indiqué que le débat soit élargi aux autres acteurs, notamment à des personnalités qualifiées … Je pense que ce sera aux termes de larges consultations que, le moment venu, le président de la République décidera et conformément à ses prérogatives constitutionnelles, des formules les plus adaptées.
Propos recueillis par Babacar DIONE
Une affaire de mœurs démocratiques
L’amorce formelle du débat sur le statut de l’opposition et de son chef remonte à la fin des années 90, quand le Président Abdou Diouf mandate le Pr El Hadj Mbodj pour mener une réflexion dans ce sens, en plus de l’équation du financement des partis politiques. De manière régulière, l’idée a été reprise à chaque opportunité d’une réflexion majeure sur l’état de la démocratie sénégalaise. Durant les douze ans de magistère du Président Wade, seules les Assises nationales (non reconnues par le pouvoir en place) conclues par le Charte de bonne gouvernance démocratique l’inscrivent dans leur agenda, et aucune évolution n’est notée sur le sujet. Le 28 mai 2013, le Président Macky Sall signait le décret instituant la Commission nationale de réforme des institutions (Cnri). Si toutes les conclusions de cette structure ad-hoc n’ont pas été reprises dans les réformes institutionnelles qu’allait introduire le référendum de 2016, il n’en demeure pas moins qu’une avancée notable est obtenue à cette occasion car, désormais, le statut de l’opposition est inscrit dans la Constitution. En effet, en son article 58, elle « garantit aux partis politiques qui s’opposent à la politique du Gouvernement le droit de s’opposer ». Le texte fondamental dit expressément qu’il garantit à l’opposition « un statut qui lui permet de s’acquitter de ses missions » et précise que « La loi définit ce statut et fixe les droits et devoirs y afférents ainsi que ceux du Chef de l’opposition ». C’est à la faveur de la reconduction du Président Macky Sall, après l’élection du 24 février dernier, suivie de son appel au dialogue à toutes « les forces vives », invite que beaucoup d’acteurs ont compris comme une occasion de mettre sur la table des questions liées à la modernisation de la vie politique, que le statut de l’opposition et celui de son chef a refait surface, surtout que « la place de l’opposition n’est pas seulement la conséquences de la démocratie pluraliste, elle en est le critère », selon Ariane Vidal-Naquet.
Tous s’accordent à reconnaître que l’issue de ce débat dépendra des orientations que se choisira le président de la République. Marque d’apaisement et de maturité, la constitutionnalisation des droits de l’opposition se heurte, toutefois, à plusieurs difficultés pour son application. Même si c’est un concept-clé indice de « bonnes mœurs démocratiques », il n’est nullement une notion juridique. Pratique d’essence anglo-saxonne ancrée dans les démocraties parlementaires, elle a essaimé avec les critiques contre « l’hyper-présidentialisme ». En régime présidentiel ou semi-présidentiel, la tentation est grande de faire du suivant immédiat du vainqueur de l’élection présidentielle comme chef de l’opposition « de fait ». Mais cette situation est volatile. L’existant montre que c’est surtout au Parlement que le statut de l’opposition et celui de son chef peut s’envisager de manière durable.
MŒURS DEMOCRATIQUES
Mais, comme le souligne le Pr El Hadj Mbodj, plusieurs instruments juridiques sont en mesure d’aménager implicitement un statut à l’opposition (la Constitution, le Code électoral, la loi sur les partis politiques, la loi sur les instances de régulation des médias garantissant l’accès des partis aux médias publics, le Règlement intérieur de l’Assemblée nationale). Il s’agit d’un éventail d’actions tendant à élaborer un corps de règles écrites déterminant l’ensemble des attributs, prérogatives et obligations d’un sujet de droit déterminé. Instituer un statut de l’opposition revient alors à « consigner dans un document, les droits et les sujétions, les moyens et les responsabilités devant permettre à l’opposition d’assumer sa fonction d’alerte, de critique et d’alternative à la majorité qui exerce le pouvoir d’État ».
Au sens large, précise l’agrégé, ancien médiateur de la République et directeur de l’Idhp, « le statut englobe toutes les règles de régulation d’un corps ou d’une institution donnée ». Quand il est formalisé, dans certains pays, ce statut permet au chef de l’opposition de déterminer l’ordre du jour d’une séance par mois, aux groupes de l’opposition de bénéficier de droits spécifiques, d’élargir les questions au gouvernement, sans oublier le privilège du « consultant » du chef de l’Etat ou du Premier ministre (c’est selon), le bénéfice de bureaux, personnels, de fonds de dotation et d’une place de choix dans le protocole d’Etat. Mais son application demeure une équation à plusieurs inconnues en raison des difficultés d’identification de l’opposition. Selon qu’elle est une opposition au régime (qui vise à remettre en cause la pérennité des institutions), une opposition à la classe politique (qui se situe en dehors du système) ou une opposition au pouvoir en place, l’alternative au pouvoir prend différentes facettes. Agissant surtout dans le champ symbolique, la recherche d’un statut pour l’opposition et son chef se heurte aux mœurs en cours. Elle ne s’envisage que dans un cadre ou s’expriment de puissants consensus, l’usage de bons procédés, l’élégance dans la confrontation d’idées ; un cadre où l’on comprend l’adversité pas l’animosité ad hominem. Difficile alors pour un pouvoir exécutif, adossé à une majorité parlementaire forte, de prendre les décisions réglementaires idoines dans un contexte où les opposants ne reconnaissent pas leur défaite…
SOLEIL Par Samboudian KAMARA