La zone entre les deux pays, floue et poreuse, est la cible d’incursions de Volontaires pour la défense de la patrie (VDP), les supplétifs de l’armée burkinabè. Celles-ci se sont multipliées ces dernières semaines.
À la frontière avec le Burkina Faso, dans le nord-est de la Côte d’Ivoire, la tension reste vive tant les incidents sont devenus récurrents. Le dernier en date a eu lieu le 29 octobre, dans la localité de Handa, située dans le département de Téhini. Ce jour-là, un contingent de l’armée burkinabè et ses supplétifs, les Volontaires pour la défense de la patrie (VDP), ont pénétré par mégarde en territoire ivoirien, comme cela arrive fréquemment dans la zone en l’absence d’une délimitation précise et formelle de la frontière entre les deux pays. Les unités d’infanterie des Forces armées de Côte d’Ivoire (Faci), déployées tout le long de la frontière, sont aussitôt intervenues et les éléments burkinabè se sont retirés.
Selon nos sources, de telles incursions de VDP ont également été observées ces derniers jours aux alentours des localités de Kielo-Korenko et de Kodagninin. Le 27 octobre – jour de l’annonce des résultats de l’élection présidentielle par la Commission électorale indépendante – entre 30 à 40 hommes à moto assimilés à des VDP, avaient déjà tenté un passage en force à Handa. Les soldats ivoiriens déployés dans le secteur avaient riposté et échangé des coups de feu avec les intrus, lesquels avaient fini par se replier.
Trafics et orpaillage clandestin
À Abidjan, le ministre de la Défense Téné Birahima Ouattara et le général Lassina Doumbia, le chef d’état-major général des armées, surveillent étroitement la situation qui devient de plus en plus volatile. « Les instructions sont claires : ne pas répondre aux provocations des Burkinabè qui recherchent l’affrontement pour créer un environnement d’embrasement généralisé », confie un officier de l’armée déployé sur le théâtre des opérations.
Ces incidents sont néanmoins circonscrits au département de Téhini, où la criminalité transfrontalière s’est développée, autour de trafics divers de produits pétroliers ou encore de marchandises diverses. L’orpaillage clandestin est également très développé dans cette région minière et agricole. C’est dans le département de Doropo, non loin de Téhini, qu’une mine d’or d’au moins 100 tonnes a été découverte en juin dernier par la société australienne Resolute Mining, laquelle prévoit de débuter ses opérations d’exploration à partir de 2026.
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C’est également dans la sous-préfecture de Tougbo que six agents de la Direction d’aide et d’assistance aux réfugiés et apatrides (DAARA), qui travaillaient à la frontière au recensement des refugiés burkinabè fuyant les attaques terroristes, ont été enlevés par des VDP le 24 août et transférés à Ouagadougou. Ces derniers les soupçonneraient d’être des espions.
L’offensive d’Ibrahim Traoré
Par ailleurs, depuis février dernier, deux villages de la région de Téhini, précisément Moussokantou et Kalmondjan sont occupés par les VDP, en complicité avec les populations locales. Selon nos sources, des jeunes de la localité auraient même été initiés au maniement des armes. Les forces armées ivoiriennes ont d’ailleurs contré il y a plusieurs mois une incursion violente de VDP dans le village de Moro-Moro, à 4 kilomètres de la frontière avec le Burkina Faso. « La Côte d’Ivoire reste déterminée à maintenir l’atmosphère de paix dans cette zone. L’ennemi est le terrorisme et les jihadistes. Il a été conseillé aux hommes de se replier sur une autre localité », assure une source sécuritaire ivoirienne.
Cependant, depuis la rencontre à Niangoloko en avril 2024 du ministre Téné Birahima Ouattara et de son homologue burkinabè Kassoum Coulibaly, la commission mixte entre les deux pays a été réactivée et travaille depuis à une délimitation de la frontière commune. Une délégation s’est même rendue en France afin de consulter les archives de la colonisation à ce sujet.
Le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire entretiennent des relations tendues depuis l’arrivée au pouvoir d’Ibrahim Traoré. Allié des juntes au pouvoir du Mali et du Niger au sein de l’Alliance des États du Sahel (AES), ce dernier a déjà accusé à plusieurs reprises son voisin de « tentatives de déstabilisation ». Une accusation répétée, mais jamais étayée. « La Côte d’Ivoire n’a jamais cherché à déstabiliser le Burkina, cela n’a pas de sens », avait assuré Téné Birahima Ouattara, le ministre ivoirien de la Défense, dans un entretien exclusif accordé en juillet 2024 à Jeune Afrique.
En septembre dernier, le capitaine Ibrahim Traoré a redit face à la presse que la Côte d’Ivoire est « la base arrière des ennemis du Burkina Faso ». « Tant que les deux pays ne s’assoient pas pour discuter et que Ouagadougou ne revient pas à la table des négociations, les incidents deviendront récurrents et le pire pourrait se produire, sous forme d’une confrontation armée violente », estime un diplomate ivoirien, membre de la Commission nationale des frontières de Côte d’Ivoire.
Jeune Afrique