Le Sénégal est à l’aube d’un tournant historique : le démarrage de sa production gazière. Dans les bilans macroéconomiques, les projections d’exportations et les discours politiques, la promesse est immense : recettes en devises, baisse du coût de l’électricité, industrialisation accélérée. Mais l’histoire nous enseigne que cette promesse peut vite devenir un piège si les choix structurants ne sont pas pris à temps.
Un choc positif pour la balance commerciale… s’il est maîtrisé
Le pays dépense chaque année près de 3 milliards USD pour importer du pétrole brut et des produits raffinés. Substituer une partie de ces importations par du gaz domestique pourrait réduire sensiblement le déficit commercial, libérer des devises pour d’autres investissements stratégiques et améliorer la notation souveraine du pays. Les orientations politiques récentes montrent une volonté affirmée de préparer le cadre contractuel et réglementaire afin que cette ressource bénéficie pleinement à l’économie nationale.
Mais cette équation n’a de sens que si :
une part de la production est garantie pour le marché national,
des contrats de vente à long terme sécurisent les prix,
un mécanisme de couverture protège le budget contre la volatilité des marchés.
L’effet multiplicateur sur l’économie réelle
L’utilisation du gaz sur le marché intérieur pourrait enclencher un véritable élan industriel.
Agro-industrie : production d’engrais et sécurisation des rendements agricoles.
Industrie lourde : approvisionnement compétitif en énergie pour les cimenteries, la sidérurgie ou la chimie.
Mobilité : développement du transport public et de la logistique au gaz naturel.
Historiquement, ce type d’investissement énergétique a toujours stimulé l’économie. Selon les projets et leur durée, chaque franc investi peut générer un effet multiplicateur allant de 1 à 1,5, avec à la clé des emplois qualifiés et de nouvelles opportunités d’exportation dans la sous-région.
Mais sans cap clair, le risque est réel : le gaz pourrait n’être qu’un produit d’exportation supplémentaire, laissant peu de traces dans l’économie nationale. La volatilité des prix mondiaux peut transformer un excédent en déficit en moins d’un an. Et la transition énergétique mondiale hydrogène vert, solaire de nouvelle génération pourrait réduire la demande internationale plus tôt que prévu.
Trois décisions pour verrouiller le succès
Institutionnaliser un quota domestique pour l’électricité et l’industrie, quelle que soit la
demande mondiale.
Créer un fonds souverain alimenté dès le premier dollar de revenu, pour stabiliser le budget et investir dans la diversification économique.
Lancer un plan d’investissement industriel autour du gaz, en partenariat avec le secteur privé local et international.
Une fenêtre étroite
Cette décennie est décisive. Les pays qui auront intégré le gaz dans un mix énergétique diversifié tout en préparant l’après-pétrole seront les gagnants. Les autres resteront prisonniers d’exportations à faible valeur ajoutée.
La capacité des autorités à maintenir ce cap et à poursuivre les réformes engagées sera déterminante pour transformer ce potentiel en succès économique durable.
Décider vite, exécuter bien : c’est maintenant que se joue l’avenir énergétique et économique
du Sénégal.
Soukeyna LY est ingénieure en énergie, économiste et doctorante en économie des ressources naturelles à Montréal. Elle est fondatrice de Prona Futurs, un think tank consacré à la prospective sur les ressources naturelles africaines, et auteure de Sous nos pieds, le futur – Le gaz naturel au Sénégal : entre souveraineté énergétique et avenir d’une génération.