Presque huit décennies après l’un des massacres les plus sombres de la colonisation française, la terre de Thiaroye commence à livrer ses secrets. Des squelettes criblés de balles ont été exhumés dans le cimetière militaire de cette localité de la banlieue dakaroise, là même où les tirailleurs africains, revenus d’Europe et en lutte pour le paiement de leur solde, avaient été abattus en décembre 1944 par l’armée coloniale française.
Les fouilles archéologiques, inédites à ce jour, ont débuté début mai 2025, portées par un comité sénégalais de chercheurs mandaté par l’État. « Des squelettes humains ont été découverts avec des balles dans le corps, au niveau de la poitrine pour certains. Les balles exhumées sont de calibres différents. Pour le moment, c’est une petite section du cimetière qui a été fouillée », a confié à l’AFP une source proche du dossier.
Les premières expertises balistiques devraient permettre d’identifier les types d’armes utilisées lors de cette tuerie restée entourée de mystère. Des analyses ADN sont également prévues pour tenter de mettre des noms sur les restes retrouvés. Car l’un des drames du massacre de Thiaroye, c’est aussi son invisibilisation : ni nombre précis de morts, ni listes de victimes, ni sépultures identifiées.
Les autorités françaises de l’époque avaient reconnu 35 morts. Mais les historiens, eux, parlent de plusieurs centaines de victimes, certains avançant jusqu’à 400 tirailleurs exécutés. Le 1er décembre 1944, ces anciens combattants, venus de divers pays d’Afrique de l’Ouest, réclamaient simplement ce qui leur était dû après avoir combattu pour la France pendant la Seconde guerre mondiale.
Le Sénégal, par la voix de ses plus hautes autorités, accuse depuis des années la France d’entretenir le flou sur cette affaire. En février dernier, Dakar a officiellement annoncé l’ouverture des fouilles pour faire « toute la lumière sur la tragédie de Thiaroye ». Le rapport attendu en avril 2024 par le comité de chercheurs n’a toujours pas été remis. Aucune explication officielle n’a été donnée quant à ce retard.
La reconnaissance tardive du massacre par la France, intervenue fin novembre 2024, à la veille du 80e anniversaire, a été jugée insuffisante par de nombreuses voix au Sénégal et dans la diaspora africaine. Mais les ossements retrouvés dans la terre de Thiaroye pourraient bien faire plus que mille excuses : ils obligent à regarder l’histoire en face, sans ornement ni faux-semblant.